Agrivoltaisme – le solaire à la conquête de l’agriculture ?

Table des matières

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Je suis d’origine anthropique, on ne parle que très peu de moi, et tout le monde est persuadé de m’avoir parfaitement compris. Qui suis-je ? Le déréglement climatique bien sûr !

Tous les scénarios de transition énergétique en 2050 (ADEME, RTE, négaWatt) tablent sur une part relativement importante – si ce n’est exclusive – d’énergies d’origine renouvelable dans le mix énergétique français. Pour rappel le mix énergétique français actuel est composé à près de 45% d’énergies fossiles (quand le mix mondial en comprend plus de 80%). L’énergie photovoltaique, générée à partir de cellules photovoltaiques installées sur des panneaux photovoltaiques fait partie de l’une des énergies d’origine renouvelable. L’agriculture est un des secteurs qui, depuis longtemps, s’est intéressé à la production et à la valorisation de ces énergies renouvelables, directement dans les exploitations agricoles. Entre le petit éolien, le photovoltaique, le solaire thermique, la méthanisation ou encore la filière bois-énergie, vous admettrez qu’il y a de quoi faire.

Cet article de blog se concentre sur une seule de ces énergies – l’énergie photovoltaique – produite dans le même giron qu’une production agricole. Nous parlerons ici d’agrivoltaisme. Ce dossier de blog n’est pas un état de l’art complet de ce qu’est l’agrivoltaisme. D’autres – l’ADEME notamment – l’auront fait avant moi. L’idée est ici de questionner les usages et les enjeux de cette nouvelle pratique agricole et d’essayer d’appréhender si elle doit être vue comme une nouvelle forme de diversification pour le paysage agricole ou si, au contraire, la menace qu’elle fait peser sur le secteur agricole devrait nous pousser à nous en détourner. La réponse n’est bien évidemment pas binaire…

L’agrivoltaisme a même été évoqué par Emmanuel Macron pendant l’entre-deux tours, lors du débat présidentiel, sans trop savoir d’ailleurs comment on en était arrivé là. Bref, il était temps d’aller y jeter un coup d’œil.

Comme d’habitude, pour les lecteurs du blog, cet article est issu d’entretiens en visio avec des acteurs du secteur (dont vous trouverez les noms à la fin de l’article) que je remercie pour le temps qu’ils ont pu m’accorder. Plusieurs articles, rapports et wébinaires m’auront permis de compléter les retours d’entretiens.

Certains développeurs photovoltaiques et autres acteurs du secteur n’auront néanmoins pas souhaité discuter avec moi…

Bonne lecture !


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Du Photovoltaique à l’Agrivoltaique


Un point rapide sur le photovoltaique


Revenons sur quelques éléments de vocabulaire pour être sûrs de bien parler de la même chose (Figure 1)! Un système photovoltaique (ou table photovoltaique – j’utiliserai ce terme dans le dossier) est composé d’un ensemble de panneaux photovoltaiques. Chaque panneau est en fait un module photovoltaique remis un peu en forme. Et chaque module photovoltaïque est composé d’un ensemble de cellules photovoltaiques qui produisent l’énergie électrique. Par abus de langage – surtout dans le domaine agricole – vous pourrez entendre parler d’installations de panneaux photovoltaiques alors qu’en réalité, ce sont bien des assemblages de panneaux (qu’on appelle donc tables photovoltaiques) qui sont installés. Ce n’est néanmoins pas très grave… J’utiliserai donc dans ce dossier les termes de tables photovoltaiques et de panneaux photovoltaiques pour designer à peu près la même chose.

Figure 1. De la cellule photovoltaique à la table photovoltaique

Faites par contre attention à utiliser le terme de « panneau photovoltaique » (ou « panneau solaire photovoltaique ») et pas simplement celui de « panneau solaire ». Les panneaux solaires existent bien mais, contrairement aux panneaux photovoltaiques, ils ne sont pas utilisés pour produire de l’électricité à partir de l’énergie solaire mais bien de la chaleur (toujours à partir de l’énergie solaire). Les panneaux solaires sont principalement utilisés pour le chauffage domestique (par exemple le chauffage de votre ballon d’eau chaude). 

C’est donc bien la cellule photovoltaique qui va convertir l’énergie solaire en énergie électrique. La cellule photovoltaique est généralement composée de deux couches semi-conductrices à base de silicium – la couche de silicium dopé N (couche N) et la couche de silicium dopé P (couche P) comme présenté sur la figure 2. La couche N est excédentaire en électrons (elle est donc chargée négativement) et la couche P est déficitaire en électrons (elle est chargée positivement). La couche de transition NP (ou couche de jonction) affichée sur la figure n’est pas une plaque de matériau (comme le sont les deux couches de silicium) mais bien plutôt un champ électrique résultant du rapprochement entre les deux couches de silicium chargées différemment (un peu à la manière d’une pile). Pour information au regard de la couche de jonction ou transition NP, on parlera d’homojonction si les deux couches de silicium sont du silicium cristallin, et d’hétérojonction si une des deux couches est du silicium cristallin et l’autre du silicium amorphe.

Lorsque les photons de la lumière traversent la couche de silicium dopé N, l’énergie des photons est transférée aux électrons qui peuvent alors se libérer de l’attraction du noyau de silicium autour duquel ils gravitent. Les électrons de la couche N se déplacent ainsi vers la couche P et sont récupérés au niveau d’une plaque conductrice qui les ramène ensuite à la couche N. C’est le déplacement des électrons pour revenir vers la couche N qui crée de l’électricité. La couche anti-reflet au-dessus de la cellule photovoltaique permet d’éviter que trop de photons ne soient réfléchis à la surface de la cellule et aillent bien traverser la cellule.

Figure 2. Détails d’une cellule photovoltaique

On voit souvent passer des informations assez contradictoires sur les panneaux photovoltaiques, tant les enjeux de mix énergétique sont sensibles pour certains. Je reviens rapidement ici sur quelques détails complémentaires à garder à l’esprit :

  • Les panneaux photovoltaiques perdent à peu près 2% de leur puissance au moment de leur installation et ensuite 0.5% de leur puissance chaque année. Les panneaux photovoltaiques sont généralement garantis pour 20 ans (certains panneaux sont garantis sur plus longtemps que ça). Il faut en réalité comprendre qu’une certaine efficacité des panneaux – généralement au moins 80% – est garantie pour ces 20 ans là. Le panneau peut continuer à fonctionner après ce délai, simplement avec une efficacité moindre.
  • Les panneaux photovoltaiques ne contiennent pas de terres rares (il y a en seulement dans les batteries et les panneaux peuvent être reliées à des batteries en local, surtout pour de l’auto-consommation). Le silicium est abondant sur terre. Le silicium est issu de la silice qui se trouve dans le sable et le quartz (qu’il faut ensuite raffiner et purifier).
  • Le rendement énergétique actuel des cellules photovoltaiques est de l’ordre de 20%, c’est à dire que les cellules sont capables de convertir 20% de l’énergie solaire qu’elles reçoivent en énergie électrique. Ce rendement augmente régulièrement. Certains parcs sur sol classiques sont d’ailleurs démontés pour être remontés avec des nouveaux panneaux plus efficients.
  • On parle de cellules phovoltaique de 1ère génération (à base de silicium cristallin), de cellules photovoltaiques de 2ème génération (à base de silicium amorphe en couche minces) et de cellules photovoltaiques de 3ème génération (à base de composés organiques – nous reviendrons dessus un peu plus loin).

Quelques notations et ordres de grandeur pour terminer:

  • La terminaison « crète », par exemple MégaWatt crète (MWc) ou GigaWatt crète (GWc) est en gros la puissance maximale que peut produire une installation photovoltaique.
  • Un mégawattheure (MWh) correspond à la quantité d’énergie produite en une heure par un mégawatt (MW)
  • Une centrale photovoltaique conventionnelle au sol sur une surface d’1 hectare peut produire grosse modo 1MWc
  • 1 TéraWatt = 1000 GigaWatt = 1.000.000 MégaWatt

Les objectifs de la PPE


Les Programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) sont des outils de pilotage de la politique énergétique française. Les PPE ont été créées en 2015 suite à loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV). Gardez en tête que le gouvernement est en train de préparer sa future loi de programmation énergie-climat (LPEC) qui viendra remplacer la précédente LTECV. Les futures programmations pluriannuelles de l’énergie (notamment la PPE 3, dont le cadre s’étendra de 2024 à 2033) devra être compatible avec la LPEC une fois que cette dernière sera finalisée.

Les PPE contiennent tout un tas de volets d’instruction, dont un qui nous intéresse tout particulièrement ici lié au développement de l’exploitation des énergies renouvelables. A la fin du troisième trimestre 2021, les installations photovoltaïques présentes en France étaient capables de générer 12,3 GW, soit environ 3% de la consommation électrique française (je parle bien ici de consommation électrique et pas de consommation énergétique – toutes les énergies n’étant pas électriques). C’est donc à peu près 50% de l’objectif de 2023 qui est pour l’instant atteint (autour de 24GW sont demandés pour le photovoltaique (Figure 3). Les objectifs de développement de la production d’électricité d’origine photovoltaïque à atteindre d’ici 2028 sont compris entre 35,1 GW pour l’option basse et 44 GW pour l’option haute (la figure ci-dessous présente le chiffre de 41 GW). Il y a donc encore un peu de chemin à faire…

Figure 3. Objectifs de production électrique (en GW) pour les Programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE)

Plante et photo-période


La photosynthèse est cette réaction absolument fantastique qui permet aux plantes de convertir l’énergie du soleil en énergie chimique pour leur fonctionnement. C’est au sein de leurs feuilles, dans la membrane des chloroplastes, que l’on retrouve les pigments chlorophylliens qui vont réaliser cette photosynthèse. Sur l’ensemble du spectre électromagnétique de la lumière, les principaux pigments chlorophylliens a et b vont absorber les longueurs d’onde dans les dominantes rouge et bleues du spectre visible au cours d’une réaction photochimique pour que la plante puisse utiliser l’énergie solaire reçue (la chlorophylle n’absorbe que très peu les longueurs d’onde verte, c’est d’ailleurs pour ça qu’on voit les feuilles vertes au printemps et en été).

Figure : Spectre d’absorbance de la chlorophylle

La photosynthèse des plantes a lieu lorsque le point de compensation de la lumière est atteint. Il faut y comprendre alors que l’énergie lumineuse est suffisante pour que l’activité photosynthétique produise plus d’oxygène qu’il n’en faut pour la consommation de la plante pour sa respiration. Argument largement plébiscité pour l’agrivoltaisme, il existerait également un point de saturation au-delà duquel l’apport de lumière supplémentaire ne serait de toute façon plus utilisé par la plante (la courbe de la photosynthèse se stabilise), et pourrait ainsi être réutilisé pour produire de l’énergie électrique. Notons également que des intensités trop fortes (que ce soit en quantité de lumière, en température extérieure, ou en quantité de CO2 environnant) peut rendre certaines réactions limitantes et diminuer la vitesse de la photosynthèse chez certains organismes végétaux – il y aurait ici une sorte de saturation de la photosynthèse dans ces environnements stressants pour la plante. On pourrait rajouter également que comme les pigments chlorophylliens n’utilisent pas l’entièreté du spectre lumineux, il serait théoriquement possible de désigner des dispositifs qui laisseraient les « bonnes » longueurs d’onde aux plantes et qui valoriseraient les longueurs d’onde non utilisées pour produire de l’énergie électrique (nous en reparlerons plus loin).

Qu’est-ce que l’agrivoltaisme ?


L’agrivoltaisme peut être défini assez sobrement comme une pratique agricole qui cherche à assurer à la fois une production agricole (végétale ou animale – on parlera alors d’agrivoltaisme d’élevage dans ce second cas) et une production électrique à partir de tables photovoltaiques, sur la même surface agricole. Le terme d’agrivoltaisme est plutôt privilégié en France (utilisé pour la première fois par Christian Dupraz – chercheur à l’INRAE – en 2011) mais on peut trouver des dynamiques semblables sous d’autres termes comme agro-photovoltaique, systèmes agrivoltaiques, ou encore agriculture photovoltaique. De nombreux acteurs publics et privés ont proposé des définitions, notamment des structures comme France Agri Voltaisme, l’Assemblée Nationale (suite à sa mission Flash), ou encore plus récemment l’ADEME. L’AFNOR a également proposé un cadre de labellisation des projets agrivoltaiques (un travail sur l’agrivoltaisme d’élevage est en cours). Bon courage néanmoins pour en trouver une définition précise, concrète et objective. Les tons donnés à ces définitions sont généralement assez mielleux et terriblement généraux. Vous entendrez donc parler de « production significative », de « dégradation acceptable de production », de « synergie », de « cohabitation » ou encore de « co-activité ». L’envie est clairement de ne pas froisser les acteurs autour de la table.

La question qui se pose en réalité est de savoir si tel ou tel projet photovoltaique doit être considéré comme de l’agrivoltaisme ou plutôt comme un projet déguisé ou alibi. Et les enjeux sont considérables, comme nous allons en discuter dans la suite de ce dossier. Certains acteurs s’autorisent à comparer l’agrivoltaisme à l’agro-foresterie dans le sens où l’agrivoltaisme pourrait être vu comme une culture à deux étages, là où le végétal supérieur est remplacé par du minéral (de l’acier galvas avec des tables photovoltaiques). Chacun jugera de la pertinence ou non de cette comparaison…

Un projet photovoltaique sur terrain agricole (qu’il soit considéré comme de l’agrivoltaisme ou pas) comporte au moins :

  • Des cultures agricoles sous panneaux (en production végétale) et généralement de la prairie (en production animale)
  • Des tables photovoltaiques contenant chacune les cellules photovoltaiques capables de produire de l’électricité
  • Une infrastructure plus ou moins complexe pour faire tenir les tables photovoltaiques (barres en acier, pieu, ancrage au sol…)
  • Un onduleur pour transformer le courant électrique continu généré par les cellules photovoltaiques en courant alternatif pour que ce courant puisse être intégré au réseau et être réutilisé par d’autres personnes. Gardez en tête que l’onduleur peut fonctionner sans réseau électrique et alimenter par exemple une batterie sur place. En règle générale, les tables photovoltaiques sont reliées au réseau électrique parce que l’électricité est revendue sur le réseau (et comme la tension sur le réseau doit être basse, on préférera un courant alternatif, n’en déplaise à Thomas Edison).
  • Un ensemble d’infrastructures techniques et logistiques (clôture pour protéger la centrale photovoltaique, chemins d’accès….)

Doit-on réellement opposer la production agricole et la production électrique ? Doit-on sacraliser des terres pour faire de l’agriculture et, en fonction de décisions politiques, de l’aménagement du territoire et de nos ambitions, utiliser d’autres terres pour produire de l’énergie électrique avec plus ou moins de conflits ? Ou alors doit-on faire cohabiter les deux ? Comme d’habitude, les réponses ne sont pas binaires et j’essaierai au mieux de vous donner des clefs de lecture dans l’ensemble de ce dossier.

Je m’intéresserai ici uniquement à l’installation de projets photovoltaiques en lien avec une certaine production agricole. Je passerai donc sous silence l’installation de tables photovoltaiques sur les toitures de bâtiments ou hangar qui, grosso modo, peuvent être considérés comme du photovoltaique classique.

Figure 4. De gauche à droite et de haut en bas : serre photovoltaique, ombrières pilotées dynamiquement, ombrières coulissantes, ombrières fixes, serres multi-chapelles, panneaux bifaciaux, moutons sous panneaux fixes, poissons sous panneaux fixes, serre magenta.

Enjeux et services des projets agrivoltaiques


Un changement de repère agronomique


L’objectif de cette section n’est pas de dresser un panorama très exhaustif de l’ensemble des services apportés par les installations photovoltaiques ; déjà parce que cette connaissance complète n’existe pas dans la littérature mais aussi parce que certains rapports techniques auront déjà tenté de centraliser la connaissance existante. Tentons plutôt ici de revenir sur quelques conclusions générales

La première chose à dire est que les expérimentations actuelles semblent montrer un effet globalement neutre ou négatif des installations photovoltaiques en agriculture (ADEME, 2021). La complexité réside dans le fait que les résultats peuvent être très hétérogènes et sont difficilement comparables entre les études réalisées (un projet en pommes n’aura pas le même sens à Cavaillon ou en Normandie), et que les travaux sont plutôt inégalement répartis sur le territoire, ce qui limite d’autant plus l’extrapolation de résultats et la comparaison de conditions agro-pédo-climatiques différentes.

Production végétale


Difficile de conclure avec les études si telle ou telle culture est compatible avec un système agrivoltaique. En termes de cultures couvertes par les tables photovoltaiques, les expériences sont plutôt nombreuses (Figure 4). On trouvera néanmoins principalement des travaux sur les cultures pérennes à forte valeur ajoutée (vignes et vergers [pommiers, abricotiers, cerisiers…] et des cultures annuelles sous serres dans le cadre d’activités de maraichage (tomates, concombres…). Les grandes cultures sont pour l’instant moins ciblées, déjà parce que les surfaces sont plus grandes, mais peut-être aussi parce que les cultures céréalières sont récoltées en fin de printemps, voire au début de l’été – des périodes pendant lesquelles les principaux risques climatiques n’ont pas encore eu lieu. Les surfaces de grandes cultures sont également des surfaces agricoles soumises à des rotations culturales plus ou moins longues et dont la gestion sous panneaux pourrait s’avérer d’autant plus complexe. Rajoutons également les contraintes de mécanisation qui n’arrangent rien à la chose (même si certains acteurs proposent des technologies en ce sens).

De l’ombre à la lumière, et à la gestion de l’eau

Ombre et lumière sont les deux facettes d’une même pièce que les tables photovoltaiques s’engagent à partager entre la production agricole et la production électrique. L’ombrage est intéressant pour les plantes dans la mesure où il permet de diminuer la température du couvert (et ainsi réduire les phénomènes d’évapotranspiration des plantes) et, quand la lumière est trop importante, de limiter les périodes de photo-inhibition dont nous avons parlé plus en haut en introduction. Plus que des états d’ombre et de lumière, c’est parfois plutôt en termes d’alternance qu’il nous faut réfléchir. Avec la course du soleil, les tables photovoltaiques créent des périodes d’ombres et de lumière plus ou moins longue pour les plantes (ces périodes pouvant être plus ou moins pilotées en fonction de la technologie utilisée, nous en reparlerons plus loin). Tous les végétaux n’ont pour autant pas la même sensibilité à l’ombre. Certaines cultures supportent par exemple assez mal les alternances d’irradiation, et il est d’ailleurs relativement difficile de prédire la productivité des cultures soumises à des alternances d’ombre et de lumière. Les effets peuvent alors être assez sévères, avec par exemple des désordres physiologiques sur la floraison et la nouaison (surtout lorsque l’induction florale est importante) et des décalages dans les dates de maturité. D’autres, au contraire, comme les plantes dites de « mi-ombre » acceptent plutôt bien ces différentes périodes (les produits originaires des sous-bois comme les petits fruits et les kiwis, les légumes feuilles comme la mâche ou les blettes…). Certains arbres ont par exemple les feuilles qui tombent plus tard parce que l’environnement sous panneaux est pour eux moins stressant.

Notez que les plantes, pour beaucoup, pourront s’adapter aux phénomènes d’ombre : élargissement des feuilles, changement dans la distribution spatiale des feuilles sur la plante, évolution de la concentration en chlorophylle et caroténoides, étiolage et phototropisme pour aller chercher la lumière. On pourra « aider » certaines cultures à s’adapter, par exemple en changeant des pratiques de taille en arboriculture pour jouer sur les alternances de lumière, ou au contraire, préférer des cultures que l’on sait pouvoir supporter mieux l’ombre. Les tables photovoltaiques, surtout quand elles sont fixes, peuvent conduire à hétérogénéiser la lumière sous les panneaux. Si certains opérateurs proposent de pallier ces effets avec des technologies pilotables, d’autres opérateurs proposeront des organisations de panneaux différents (en bandes, ou en damier – nous en reparlerons un peu plus loin) ou adapteront leurs itinéraires culturaux en conséquence (semis alterné et/ou différencié suivant les zones sous les panneaux, mise en place d’un paillage blanc au sol, mise en place de tôles diffusantes sur les parois et le toit. Pourrait-t-on même imaginer gérer l’enherbement des inter-rangs (et pas seulement les cultures) avec un pilotage de l’ombrage ? En tout cas, si l’on avait déjà du mal à expliquer des variabilités de production au sein d’une parcelle, l’ajout d’une variable d’hétérogénéité supplémentaire (lumière ou ombrage) ne nous facilitera pas la tâche..

Nous l’évoquions en début de paragraphe mais l’ombrage peut apporter indirectement un effet positif sur l’évapotranspiration des plantes lorsque la température du couvert diminue avec, en conséquence, des besoins réduits en irrigation (certains projets de tables photovoltaiques sont d’ailleurs aussi en cours au-dessus de canaux d’irrigation pour limiter les pertes d’eau par évaporation). Dans les zones séchantes, les tables photovoltaiques peuvent en effet participer à la réduction de l’évapotranspiration. Quand il n’y a pas de stress hydrique néanmoins, les panneaux pourraient au contraire être un obstacle à la photosynthèse. De manière plus générale, si l’on s’intéresse à l’efficience de l’utilisation de l’eau, c’est-à-dire le ratio entre la variation relative de la matière sèche et l’évapotranspiration réelle, force est de constater que son amélioration n’est pas systématique – tout dépend en réalité des conditions climatiques présentes dans l’environnement.

Pour continuer sur la thématique de l’eau, l’utilisation des tables photovoltaiques peut poser question quant à l’hétérogénéité spatiale de l’eau sous les modules, mais aussi quant à l’hétérogénéité de l’eau dans le sol. Les tables photovoltaiques peuvent en effet générer des effets de rigole ou de rideau d’eau en bord de panneau (surtout quand l’eau n’est pas récupérée dans des gouttières dédiées). Il pourrait être pertinent de s’intéresser plus sérieusement au sol, à la fois sur les effets d’érosion sur les pourtours des panneaux (même si certains travaux ont pu observer que l’érosion était moindre sous les panneaux parce que le sol était plus humide car moins directement soumis au réchauffement des rayons du soleil), mais aussi sur la création de micro-climats dans le sol, ou encore l’affectation de la structure et de l’hydromorphie des sols. Certaines expériences sembleraient également montrer que les sols à l’ombre ne se réchauffent ni ne minéralisent de la même façon. A creuser donc…

En protégeant de la pluie, les tables photovoltaiques pourraient avoir un effet bénéfique sur le développement des maladies et champignons (on peut penser à l’oïdium et au mildiou par exemple) puisque les conditions d’humidité et d’hygrométrie sont complètement changées. Cet aspect pourrait être intéressant pour les agriculteurs souhaitant s’orienter vers une agriculture biologique dans le sens où la limitation du développement de maladies pourrait aider à se passer de produits phytosanitaires.

La protection contre les aléas climatiques

Les tables photovoltaiques apportent une protection non négligeable contre les aléas. Contre le gel, les panneaux placés à l’horizontal peuvent agir comme des réflecteurs infrarouges et reconstruire un effet de serre partiel aux couverts. Les gels radiatifs peuvent intervenir en début de printemps. Avec une nuit claire, l’irradiation du sol est rapide et importante et peut faire perdre beaucoup de chaleur aux plantes – on parle alors de gelées blanches. Notez également qu’à quelques degrés près, une floraison peut être complètement perdue. Contre la grêle, les panneaux peuvent se positionner verticalement et laisser se déployer des filets anti-grêle accrochés ; ou alors se positionner horizontalement, pour que la grêle ne tape pas directement les plantes. Contre les excès de chaleur ou de lumière, les panneaux – s’ils sont pilotés – peuvent limiter l’ensoleillement sur les cultures (ces effets d’ombrage peuvent être également intéressants pour améliorer les conditions de pénibilité du travail au champ). Certains territoires préfèreront blanchir les serres ou les filets pour pallier ces effets (charge au lecteur de questionner ou non cette pratique). Cet effet de protection contre la chaleur peut néanmoins demander d’adapter aussi les opérations culturales. Les fruits sous tables photovoltaiques seraient par exemple beaucoup plus sensibles au soleil, car moins adaptés, et pourraient souffrir de brûlure s’ils sont mis au soleil (certains agriculteurs auront dû arrêter de mettre leurs caisses de récolte à l’extérieur).

Lors de pluies intenses, les panneaux – positionnés à la verticale, chercheront à limiter les effets de ruissellement et de rideaux d’eau sur les parcelles. Les infrastructures photovoltaiques peuvent être utilisées comme structures porteuses pour d’autres outils de protection climatique. On pensera par exemple aux filets anti-grêle ou aux bâches anti-pluies. Les structures peuvent également supporter des réseaux d’irrigation avec des gouttières de récupération d’eau en bordure de tables. L’effet des panneaux sur le vent – en tant qu’obstacles ou au contraire goulot d’étranglement – n’aurait pour l’instant pas été largement étudié. Les agriculteurs du domaine que j’ai visité auront néanmoins fait part d’une arrivée plus précoce de pucerons sous les panneaux qui y auraient vu un abri intéressant contre le vent.

Photovoltaique et production agricole

En termes de quantité de production, les effets des installations photovoltaiques semblent être globalement neutres à négatifs. Les plantes n’auraient de toute façon pas besoin de 100% de luminosité pour pousser au mieux. Certaines plantes verraient même leur croissance plutôt stimulée pour des niveaux d’ombrages moyens. C’est par contre en atteignant des niveaux d’occultation de lumière importants que l’on pourrait s’attendre à une perte importante de rendement.

La relation n’est de toute façon pas linéaire entre la baisse de la radiation lumineuse et le rendement. Certains projets récents ont pu néanmoins témoigner d’une augmentation de la productivité sous les panneaux avec un pilotage très fin de la lumière (en faisant en sorte de limiter les périodes de photo-inhibition lors d’ensoleillement intense pour que les plantes n’arrêtent pas leur croissance en milieu de journée). Encore peu étudiés, les effets de long-terme ne seraient pourtant pas à négliger. En limitant la photosynthèse sur la saison sur une plante pérenne, il y aurait en effet des risques d’affecter le développement de l’année suivante (les réserves sont impactées, l’induction florale aussi). L’hypothèse du point de saturation de la lumière se travaille à l’échelle de la feuille. A l’échelle de la plante, la question est peut-être différente en ce sens que la lumière arrivant sur une feuille sera transmise et diffusée aux autres feuilles de la plante. Les questions de flux d’énergie changent d’échelle, et affectent peut-être la manière de raisonner les effets de lumière et d’ombrage sur la plante. Au vu de la variabilité climatique inter-annuelle importante, disposer de séries temporelles longues semble nécessaire pour s’atteler au problème. Les questions sont néanmoins complexes : comment isoler les facteurs d’influence au cours des années, notamment sur les cultures pérennes ?

Contrairement au rendement qui reste un paramètre relativement sobre – à la fois à décrire et à mesurer, les considérations de qualité de récolte sont autrement plus nombreuses suite à l’impact des tables photovoltaiques sur l’ombrage et la température des couverts. Le taux de sucre (et donc le taux d’alcool pour les vignes) pourrait diminuer, chose à laquelle il serait possible de pallier en choisissant initialement des variétés plus sucrées. En prenant du recul, ce pourrait par exemple être l’occasion pour les arboriculteurs et viticulteurs d’avoir une amplitude de choix de récolte plus importante (les tables pourraient permettre d’allonger le cycle de la vigne et de redéplacer la maturité en septembre, et non en août, avec des nuits plus courtes et plus fraiches bénéfiques aux anthocyanes, aux tannins et aux polyphénols), en pouvant jouer notamment sur le pilotage des tables photovoltaiques et sur ses choix de dates de récolte. Les fruits et légumes pourraient également avoir tendance à être moins colorés (le choix de variétés – cette fois plus colorées – pourrait encore une fois être un palliatif pertinent). Les opérateurs agrivoltaiques mettront plus volontiers des arguments logistiques en avant. En protégeant les fruits de potentiels défauts (craquelures, brûlures, difformités….), les installations photovoltaiques pourraient éviter les problèmes de calibrage, de changement de niveau de qualité, voire de refoulement de certains fruits – et ainsi ne pas affecter négativement les stratégies commerciales des agriculteurs. Les paramètres qualitatifs et organoleptiques sont malgré tout bien plus large que ça : taux d’amidon dans les fruits, fermeté des fruits, niveaux d’anti-oxydants, richesse en protéines dans les fourrages ; la liste pourrait être longue…

Production animale


Bien que plus récent, l’agrivoltaisme d’élevage est testé dans le cadre de productions animales très variées, et c’est principalement le bien-être animal qui est mis en avant. Les animaux (bovins, ovins, volaille, poissons, abeilles…) profitent principalement de l’ombrage offert par les tables photovoltaiques qui permet de diminuer la température de l’air ou de l’eau (dans le cas de bassins piscicoles) et ainsi diminuer la température corporelle des animaux. En s’engageant dans le bien-être, c’est bien la totalité de l’installation photovoltaïque qu’il convient d’adapter à la présence d’animaux : rehaussement des structures pour que les animaux puissent se déplacer et ne pas devoir ramper sous les panneaux, protection des câbles électriques, protection des bords coupants… Certaines questions de bien-être restent encore non résolues. Les seuils de hauteur bas de table, souvent de l’ordre du mètre dans les principaux documents existants (IDELE, arrêtés du ministère), semblent pourtant insuffisants au regard des dynamiques animales sous les panneaux (quid du chevauchement d’une brebis par un bélier autour d’une table photovoltaique d’à peine 1 mètre de haut ?). Les champs électromagnétiques (notamment au niveau des onduleurs qui en produisent le plus) pourraient avoir un impact (niveau de production, perturbation de la qualité du lait, stress…) sur des animaux présents sur de longues périodes près des panneaux (même si un pâturage tournant pourrait permettre de contourner le problème). Plus largement, ce sont les conséquences de l’arrivée d’une centrale agrivoltaisme sur le système d’élevage dans son ensemble qui devrait être investiguées (conséquence pour l’éleveur, complexité de gestion des surfaces…). Certains projets mettent également en avant le pâturage de bêtes (notamment des ovins) pour des productions végétales sous panneaux. Si ces dispositifs sont louables, on pourra reprocher à certains d’imaginer mettre des licols aux bêtes pour éviter qu’elles ne lèvent trop la tête et qu’elles se concentrent sur ce qui se trouve sur le sol plutôt que les arbres…

Dans le contexte de la production animale, l’argument d’adaptation au risque climatique est un peu plus difficile à justifier. Le réel bénéfice des tables photovoltaiques en élevage reste l’ombrage mais l’on pourrait considérer que ce bénéfice pourrait tout aussi bien être apporté par des arbres. Pour la pousse de la prairie, l’ombrage peut effectivement être pertinent, encore faudrait-il être capable de mesurer le gain de biomasse à l’échelle du système agricole complet. L’argument du photovoltaique comme une voie de sécurisation de l’autonomie des fourrages en troupeau allaitant, dans le sens où l’on mettrait des panneaux partout pour assurer la productivité des prairies, reste quand même assez limité. Comme pour les principales productions agricoles dont nous avons parlé, l’impact de l’ombre sur la croissance des prairies est encore assez mal connu, tout comme d’ailleurs le choix des variétés les plus adaptées pour compenser la présence des tables photovoltaiques. Les tables photovoltaiques semblent néanmoins intéressantes pour assurer une production prairiale plus lissée sur l’année. Au printemps, les pousses sous les panneaux, protégées des rayons lumineux du soleil, se développent moins que leurs voisines. Au contraire, durant l’été, lorsque l’ensoleillement est maximal et que la prairie non protégée par les tables photovoltaiques souffre de brûlure et de stress thermique, la prairie sous panneau a plutôt tendance à passer un moment bien plus agréable.

De manière assez surprenante, il semblerait que la majorité des travaux considère l’influence des tables photovoltaiques sous panneaux toute chose égale par ailleurs. En agrivoltaisme d’élevage, l’interaction avec les animaux est pourtant permanente : les moutons peuvent venir brouter, piétiner, tasser ou encore se reposer sur les couverts sous les panneaux. Les effets isolés des panneaux que nous avons largement décrits plus hauts pourraient ainsi être contrebalancés par des perturbations animales. On pourrait également questionner l’intérêt de la production prairiale sous panneau en ce sens que, comme les animaux passent une grande partie de leur journée sous les panneaux, la qualité du sol y est quand même largement plus dégradée qu’ailleurs.

Il semblerait que la majorité des projets photovoltaiques ne soient pas encore réfléchis de manière systémique pour la production animale. Ce sont peut-être encore trop des installations classiques, avec des panneaux bas dont le design ne répond pas à un besoin de l’activité agricole (on peut même imaginer que des panneaux trop bas puissent être aussi gênés à long terme par la pousse trop importante d’une prairie). Il est peut-être nécessaire de continuer à le rappeler : l’éco-patûrage n’est pas une production agricole. Le guide de l’IDELE sur les ruminants en contexte agrivoltaique montre plutôt clairement toute la réflexion agronomique à organiser autour de telles installations, entre la gestion des équipements d’élevage, la conception des centrales, le choix des couverts, le choix des systèmes de pâturage (tournant ou continu), la typologie des bêtes (femelles vides, gestantes, allaitantes – avec des animaux potentiellement en période de lutte) ou encore l’ergonomie du travail de l’éleveur (IDELE, 2020). Rajoutons que des systèmes de paturage mixtes, mélangeant des ovins et bovins, pourraient être pertinent parce que les deux espèces sont complémentaires dans leur prélèvement en herbe. Cette cohabitation pourrait permettre de diminuer les refus des bêtes et assurer une meilleure gestion du parasitisme.

Peut-on mesurer la synergie entre une production agricole et électrique ?


Est-il possible de chiffrer objectivement l’intérêt de mettre en place une installation photovoltaïque sur une exploitation agricole ? D’un point de vue purement financier, la réponse est oui, et même deux fois oui.

  • Le LCOE (Levelized Cost Of Energy) est calculé simplement comme le prix moyen du kilowatt heure pour la durée de vie de la centrale photovoltaique (une durée de vie de 30 ans est généralement utilisée comme seuil de référence). Les LCOE internationaux tournent autour de 30 à 45€ le MWh. Les centrales photovoltaiques sur prairie (agrivoltaisme d’élevage) pourraient même bénéficier de quelques avantages par rapport aux centrales standard parce qu’il y aurait moins de travaux de préparation de terrain et des coûts plus faibles de foncier et d’entretien du sol. Les serres et ombrières afficheraient des LCOE plus élevés que les centrales photovoltaiques sur sol agricole (notamment dû aux modules photovoltaiques plus cher et aux possibles trackers installés).
  • Le ROI (Return on Investment) est le nombre d’années pendant lesquels il faut assurer une production électrique pour rentabiliser l’installation de la centrale. En contexte agricole, le ROI est sans surprise supérieur à un contexte classique (certains acteurs m’auront parlé d’un facteur 2), notamment à cause de la poussière que l’on peut retrouver sur les panneaux suite à des opérations agricoles proche des tables photovoltaiques ou du passage d’animaux, de l’humidité plus forte due à l’utilisation de produits phytosanitaires, ou de la corrosion potentiellement induite par les opérations culturales.

D’un point de vue énergétique, il sera préférable d’utiliser le EROI (Energy Return On Investment) plutôt que le ROI (vous pourrez entendre aussi parler de taux de retour énergétique TRE). Le raisonnement est très proche ; la différence étant qu’au lieu de parler d’aspects monétaires, on se demandera ici à partir de quand l’installation photovoltaïque aura produit l’énergie qu’il a fallu pour construire et installer le projet de centrale photovoltaïque. L’EROI est parfois présenté plutôt comme un ratio entre l’énergie utilisable (dans notre cas par les panneaux) et celle consommée pour l’obtenir. C’est d’ailleurs souvent l’indicateur EROI qui est utilisé pour comparer les différentes sources d’énergies existantes.

En rajoutant la dimension agrivoltaique, certains auteurs auront préféré se tourner vers un indicateur utilisé historiquement dans le cadre de l’agro-foresterie pour comparer la performance de l’association de deux cultures différentes à celle des mêmes espèces cultivées séparément : le LER (Land Equivalent Ratio). Cet indicateur est défini comme la surface relative nécessaire en cultures pures pour avoir la même production que l’association de ces cultures. Un LER supérieur à 1 traduit ainsi une meilleure performance de l’association de cultures que de la culture pure. En contexte agrivoltaique, l’association est sans surprise considérée entre une culture sous panneau et la production d’énergie photovoltaique. Si l’ombre des panneaux et l’installation de la structure photovoltaique n’avaient aucune influence sur la production agricole sous les panneaux, l’indicateur LER prendrait une valeur de 2 dans la mesure où, sur la même surface agricole, on peut produire autant (que ce soit en termes de rendement de plantes ou d’énergie électrique via les panneaux) que si les panneaux et la culture étaient séparées géographiquement. Comme les panneaux photovoltaiques ne sont pas totalement neutres sur la production agricole, le LER a plutôt tendance à osciller entre des valeurs de 1 et 2, selon que l’on dégrade la valeur photovoltaïque (densité de module réduite, effacement des panneaux) ou agricole (pleine densité de modules..). Le LER ne sera jamais inférieur à 1 puisque même sans aucune production agricole sous les panneaux (les panneaux sont par exemple complètement couvrants), il y aura toujours de la production électrique avec les panneaux. Certains acteurs déconseillent malgré tout d’utiliser l’indicateur LER parce qu’il ne départagerait pas les projets photovoltaiques effaçant une partie de leur production solaire au profit des cultures de ceux dégradant la même proportion de rendement agricole.

Plutôt que de s’intéresser à la lumière, nous pourrions par exemple considérer l’efficacité de l’usage de l’eau (WUE : water use efficiency) comme un moyen de considérer les services apportés à l’agriculture.

Peut-être pourrait-on également se concentrer exclusivement sur l’énergie et comparer l’énergie électrique produite par les panneaux et l’énergie contenue dans la production agricole à la récolte (en calories) ? Le taux de conversion énergétique des panneaux, c’est-à-dire la différence entre l’énergie produite et l’énergie reçue par le soleil (actuellement autour de 15 à 20%) serait assez largement supérieur au taux de conversion de la photosynthèse (plutôt de l’ordre de quelques pourcents).

Les appels d’offre de la Commission de Régulation de l’Energie et les contrats gré à gré


Les projets d’agrivoltaisme sont instruits au travers de deux branches distinctes :

CAS N°1 : le projet est déposé en réponse à un appel d’offre (AO) de la Commission de Régulation de l’Energie (la CRE – prononcez « creux ») ; on parle d’AO CRE.  Tous les ans, la CRE ouvre un certain nombre d’appels d’offre qui permettent d’avoir accès à un tarif garanti de rachat de l’électricité. Ces appels d’offre sont de deux ordres :

  • Un appel d’offre innovation (AO CRE Inno) pour lequel le projet agrivoltaique doit démontrer la mise en place d’un dispositif innovant (qu’il soit technique ou agricole). Ces appels d’offre engagent des projets relativement limités en termes de production photovoltaique (le seuil maximal de puissance unitaire est de 3MWc). Les AO CRE innovation ont été mis en place pour dynamiser la filière (avec des prix de rachat de l’électricité très intéressants – à plus de 100€ le MGW – et on est bien d’accord que c’est toujours le contribuable qui paye de sa poche…). A terme, les AO CRE innovation devraient être voués à disparaitre lorsque le marché sera suffisamment mature. Au fur et à mesure du déploiement (et de la maturité) des technologies photovoltaiques sur le terrain, il reste de toute façon de plus en plus difficile de justifier le caractère innovant des installations photovoltaiques. Avec des appels d’offres innovation totaux à 70MWc sur l’année, on peut s’attendre à une trentaine de projets (puisque le seul maximum par projet est de 3MWc). Difficile d’imaginer que chacun de ces projets recèle vraiment une innovation (et certains projets qui se revendiquent innovants pourraient d’ailleurs être largement questionnés). De manière générale, ces appels d’offre sont principalement utilisés pour des projets avec des cultures à forte valeur ajoutée. Information importante : la CRE a récemment ouvert ces appels d’offre innovation sur les projets d’agrivoltaisme d’élevage.
  • Un appel d’offre plus classique (AO CRE) qui, si le projet est accepté, engage l’opérateur photovoltaique à verser une compensation agricole collective à l’agriculteur qui verra s’installer une infrastructure photovoltaique. Cette compensation agricole collective est assez proche de la compensation environnementale dans son raisonnement. L’idée est de compenser l’érosion importante des surfaces agricoles et de prendre en compte des impacts individuels des projets photovoltaiques sur les exploitations agricoles (versement d’indemnités foncières au propriétaire et d’éviction à l’agriculteur). Cette compensation peut prendre plusieurs formes : aides aux investissements, promotion des produits agricoles, développement de nouveaux marchés, aide à la formation professionnelle ou encore amélioration des infrastructures locales. Cette compensation doit est d’autant plus élevée que le projet agrivoltaique est de moins bonne qualité. Ces appels d’offre de la CRE sont principalement utilisés pour des centrales photovoltaiques au sol. Il est possible d’aller chercher de grosses superficies et de grosses puissances d’installations. Le marché tendrait à orienter les projets de centrales agrivoltaiques pour lesquels les panneaux sont au moins à 1.80 m du sol vers des appels d’offre toiture et les projets de centrales à des hauteurs plus bases vers des appel d’offre pour centrale au sol

Les opérateurs qui passent par la CRE négocient leur tarif de rachat avec la CRE ; on pourrait dire qu’ils postulent à un prix de rachat lorsqu’ils déposent leur projet (l’empreinte carbone des panneaux est visiblement comptabilisée dans la note finale du projet). Les opérateurs qui décrochent des appels d’offre CRE classiques peuvent également bénéficier d’un complément de rémunération (qui n’a rien à voir avec la compensation agricole collective des AO CRE, et qui n’a rien à voir non plus avec les contrats d’obligation d’achat de l’électricité par EDF qui ne sont adaptés que pour les installations photovoltaiques sur bâtiment). Ce complément de rémunération s’adresse aux producteurs qui commercialisent leur énergie directement sur les marchés. Les producteurs d’énergie perçoivent une prime qui compense l’écart entre les revenus tirés de la vente et un niveau de rémunération de référence, fixé individuellement pour chaque installation. Ce complément de rémunération est attribué après mise en concurrence pour les installations photovoltaiques d’une puissance supérieure à 500kWc (le seuil a été relevé en 2022 – il était avant disponible pour des puissances supérieures à 250 kWc ; soit beaucoup plus d’installations). Les appels d’offre de la CRE octroient la possibilité aux services du ministère de la transition écologique de sanctionner les projets qui ne seraient plus conformes aux critères des appels d’offre

La CRE distingue les projets d’installations photovoltaïques sur les terrains agricoles des projets agrivoltaïques. Notez que les projets agrivoltaiques n’ont néanmoins aucun appel d’offre dédié pour l’installation de centrales photovoltaiques, exception faite de l’AO CRE Innovation. Les appels d’offre pour les installations sur terrains agricoles ont été ouverts au second semestre 2021 pour toutes les zones agricoles des communes soumises au règlement national d’urbanisme et aux cartes communales. En revanche, les installations sur les communes soumises aux plans locaux d’urbanisme n’y sont pas éligibles, soit la majorité des communes (Figure 5). Pour tout ce qui est de l’installation d’infrastructures photovoltaiques sur terrain dégradé, la CRE sort au contraire régulièrement des appels d’offre plus spécifiques.

CAS N°2 : le projet ne rentre pas dans les cases des appels d’offre de la CRE. Les opérateurs photovoltaiques négocient alors un contrat de gré à gré sur le marché avec les clients auxquels ils vendront leur électricité. On parle alors de PPA (Power Purchase Agreement). Vous l’aurez sans doute compris mais pour ce type de contrat, il n’y a pas de garantie de l’Etat ni de subventions. L’opérateur photovoltaique loue le réseau électrique (et devient fournisseur d’électricité) et vend ainsi son électricité à ses clients. Ces contrats sont souvent sur du long terme (5, 10 voire 15 ans), plutôt avec des industriels qui s’engageront à acheter de l’électricité, et ce principalement pour décarboner leurs activités quotidiennes. Ces projets de centrale photovoltaïque sont généralement installés sur de bien plus grandes surfaces puisque, comme il n’y a pas de tarif d’achat garanti et que les prix de rachat de l’électricité sont souvent inférieurs à ceux de la CRE (autour de 50€ le MGW pour les PPA contre 60-70 le MGW pour des AO CRE et jusqu’à 110-120€ le MGW pour des AO CRE innovation), les opérateurs recherchent les économies d’échelle. Sans surprise, le grand défi reste le prix de l’électricité. Il faut bien comprendre que les installations photovoltaïques sur terrains agricoles peuvent se développer aussi via des contrats privés, et pas seulement dans le cadre des appels d’offre de la CRE.

Figure 5. Les appels d’offre de la CRE et les PPA. Source : ADEME (2021).

Notez que des évolutions de la CRE sont à l’ordre du jour pour répondre aux objectifs des programmations pluri-annuelles de l’énergie (PPE), la question étant de se demander s’il est préférable – dans le contexte agrivoltaique – de mettre en place des centrales de grande puissance à proximité des nœuds de distribution électrique ou plutôt des petites centrales facilement raccordables au réseau. Dans le cas des grandes centrales, le déploiement serait plus long (création des dossiers, réalisation des études environnementales, et pourraient demander des investissements importants aux agriculteurs). Les petites centrales, au contraire, seraient plus facilement déployables et pourraient toucher de nombreux agriculteurs puisqu’il y aurait naturellement plus de centrales. Le risque étant pour ces petites centrales d’être mal designées et construites en vitesse.

Les modèles économiques de la filière agrivoltaique


Une grande diversité d’acteurs et de modèles d’affaires


Les projets de centrale agrivoltaique font intervenir plusieurs types d’acteurs. On trouvera :

  • l’agriculteur (exploitant agricole) qui aura l’installation photovoltaïque au-dessus de sa production.
  • l’opérateur agrivoltaique qui porte et développe le projet de centrale.
  • Le propriétaire foncier, qui est le propriétaire des terrains agricoles sur lesquels viendra s’implanter la centrale
  • Pourra également se rajouter une société de service – notamment dans le cadre de tables photovoltaiques pilotées dynamiquement – qui aura développé les technologies et algorithmes de pilotage des panneaux.

Les modèles économiques sont rendus compliqués par le fait que les rôles entre ces acteurs sont parfois un peu mélangés. Le propriétaire foncier et l’agriculteur peuvent être la même personne ou être deux personnes différentes (certains opérateurs photovoltaiques ne font toujours pas la différence entre un propriétaire foncier et un exploitant agricole…). L’opérateur photovoltaique peut être le propriétaire foncier (même si c’est plus rare). Et la société de service n’est pas encore présente dans beaucoup de modèles économiques différents. Avec ce jeu d’acteurs, les modèles économiques des projets agrivoltaiques sont assez variés. On pourra y trouver des modèles où :

  • L’opérateur photovoltaïque verse un loyer à l’agriculteur (montant plus ou moins important) pour louer les terrains agricoles sur lesquels l’opérateur installe la centrale photovoltaique
  • L’agriculteur auto-finance son projet. S’il n’est pas capable à lui tout seul d’apporter les fonds propres nécessaires auprès de sa banque, il pourra être co-actionnaire minoritaire ou majoritaire d’un projet (avec un financement participatif de citoyens ou du territoire). Les projets photovoltaiques peuvent être lancés par un collectif d’agriculteurs
  • Le propriétaire foncier établit un bail emphythéotique (montant plus ou moins important) avec l’opérateur photovoltaique
  • L’opérateur photovoltaïque finance l’infrastructure photovoltaique pour l’agriculteur (ex : une serre sur laquelle seront positionnées des panneaux photovoltaiques). C’est donc l’opérateur photovoltaique qui investit (pour la serre dans cet exemple) et qui exploite les tables photovoltaiques. Ce format ne coûte rien à l’agriculteur mais c’est bien l’opérateur photovoltaïque qui est propriétaire de l’ensemble. Dans certains cas, l’opérateur peut également être propriétaire du matériel végétal.
  • La société de service vend un service de pilotage dynamique à l’agriculteur et une technologie brevetée à l’opérateur photovoltaique (la société de service contractualise un taux d’effacement des tables photovoltaiques calculé au préalable et garantit à l’opérateur photovoltaique que les tables ne seront pas effacées tout le temps). Il est important dans ce cas que le prestataire du service de pilotage ne soit pas une société trop proche de l’opérateur photovoltaique afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêt.

Ces modèles économiques peuvent, dans une plus ou moins grande mesure, être combinés. L’opérateur photovoltaique se rémunère bien évidemment sur la vente de l’électricité produite par la centrale.

La perte des aides de la PAC


De façon assez surprenante, les agriculteurs qui s’engagent dans une démarche d’agrivoltaisme perdent leurs droits aux aides PAC. Pour ceux qui se sont assurés de conserver une activité agricole forte sous les tables photovoltaiques, la douche est froide. De quels aides s’agirait-il ? Il semblerait que l’on parle ici des droits aux paiements de base (DPB) qui représentent une somme substantielle pour certaines exploitations agricoles. En étant tatillon, on pourrait à la rigueur enlever l’emprise spatiale au sol des panneaux (en prenant une marge confortable) et en considérant également l’ensemble des surfaces liées à l’installation d’une centrale (clotures, chemins de passages, onduleurs…). D’ailleurs, comme les centrales sont considérées comme des sites industriels, les pompiers imposent également souvent des chemins en calcaire pour pouvoir accéder aux terrains (et donc indirectement de détruire un peu de sol supplémentaire.) Même si un onduleur se mettait à prendre feu, y a-t-il un risque qu’il se propage à l’ensemble de la centrale ? Si l’agrivoltaisme est considéré comme un dispositif au service de la production agricole (et nous avons vu que les potentiels services sont nombreux – à la fois agronomiques mais aussi en offrant la possibilté à l’agriculteur de réinvestir sur son exploitation agricole), pénaliser économiquement l’agriculteur en l’excluant des aides de la PAC semble déconnecté de la réalité. Certains acteurs agricoles verraient pourtant derrière la réduction des aides de la PAC une façon d’accentuer les montants de la compensation agricole collective. 

Le loyer : un risque pour la filière agricole ?


La question la plus préoccupante tourne toujours autour de la rémunération apportée à l’agriculteur. Les mondes photovoltaiques et agricoles ne se comprennent pas forcément. La marge brute moyenne à l’hectare d’un agriculteur s’approche des 500€ (en excluant peut-être les pointes sur le colza et le blé). En proposant parfois aux agriculteurs des loyers de plusieurs milliers d’euros à l’hectare pour l’installation de projets agricoles, les opérateurs photovoltaiques ne semblent pas être conscients des enjeux et problématiques du monde agricole. Plusieurs acteurs sont d’ailleurs vent debout contre de tels dispositifs et ne se positionnent pas sur un modèle avec un loyer à verser à l’agriculteur. Pour certains, verser un loyer reviendrait à remettre en cause la pérennité du système agricole.

L’introduction d’un loyer peut en effet conduire à un risque de déprise agricole (déclassement du caractère agricole au règlement d’urbanisme, dégradation marquée de la production agricole), une concurrence à la reprise agricole si les terres ne sont plus accessibles pour les jeunes agriculteurs, ou encore à une inflation et une déstabilisation du foncier agricole, avec des prix du foncier qui sont susceptibles de s’envoler. Outre la spéculation foncière liée aux tarifs de rachat de l’électricité et aux marges du secteur photovoltaïque, certains opérateurs tendent à adopter des stratégies foncières agressives avec une volonté de rétention et de sécurisation du foncier (histoire de ne pas se faire piquer le foncier par des concurrents). Certains opérateurs iront même jusqu’à proposer des loyers très hauts, simplement pour pousser les agriculteurs à signer des contrats, contrats que les opérateurs iront revendre à d’autres développeurs en recherche de surface. Les développeurs seront parfois prêts à payer ses contrats très chers pour sécuriser du foncier. D’autres apporteurs d’affaires iront sécuriser du foncier là où il n’y a pas toujours de faisabilité technique avec des agriculteurs qui, derrière, se retrouveront bloqués avec des promesses de bail qui ne pourront pas être trop valorisées. D’autres opérateurs, au contraire, signeront ces contrats de bail avec des conditions suspensives (par exemple seulement si un permis de construire est signé). D’autres enfin attendront le développement de bonnes conditions économiques avant de s’engager.

Suspendre le loyer versé serait alors un moyen de s’assurer que le partage de la valeur est vraiment considéré du point de vue du service apporté à l’agriculture (adaptation au changement climatique, protection contre les aléas…). Il est néanmoins difficile d’en vouloir aux agriculteurs qui accepteraient de tels montants quand on voit le salaire de certains pans de la filière agricole. En condition de précarité, ou lorsqu’un agriculteur ne trouve pas de repreneurs, on peut comprendre sa propension à accepter une rémunération élevée pour l’installation de projets photovoltaiques.

La rémunération de l’agriculteur sur ces projets agrivoltaiques ne doit de toute façon pas dépasser 50% du chiffre d’affaires de l’exploitation, au risque que le statut d’exploitant agricole ne soit modifié. Certains agriculteurs auront néanmoins pensé à dissocier le bénéfice de la production agricole et le bénéfice de la production photovoltaique pour pouvoir toucher un joli pactol (nous en parlerons un peu plus tard avec les sociétés de projets photovoltaiques). Il n’en reste pas moins que le loyer pour l’agriculteur, s’il est versé, doit rester relativement faible pour ne pas perturber l’occupation agricole. Ce loyer aurait plutôt vocation à compenser les pertes des aides de la PAC (même si cet objectif louable ne s’attaque pas aux vraies causes de l’enjeu), à améliorer les conditions de vie de l’agriculteur, à récompenser le risque pris en investissant dans des tables photovoltaiques (perte de rendement, perte de rentabilité…), et à accompagner l’exploitation agricole dans de possibles investissements stratégiques dans la mesure où ce loyer apporte un revenu stable et long-terme à l’agriculteur. Ce loyer peut ainsi, sans devenir prépondérant, être un appui agréable et un coussin pour l’agriculteur. Le loyer est à fixer au cas par cas ; en fonction du type d’agriculteur, de la surface de ses terres, ou encore du type de rentabilité qu’avait le propriétaire du terrain (qui n’avait peut-être par exemple plus les moyens d’assurer une activité économique sur ses terrains agricoles)

Les opérateurs photovoltaiques essaient eux aussi de tirer leur épingle du jeu. Les projets de centrale agrivoltaiques couteraient entre 800.000 et 1 million d’euros de l’hectare. Les centrales classiques sont moins chères mais le dimensionnement agrivoltaique nécessite de rajouter des structures porteuses pour les tables photovoltaiques (pieus…), notamment en fer et en acier. Avec la hausse du prix de l’acier, et du coût des transports des panneaux principalement chinois, les coûts continuent d’ailleurs à monter. Et les opérateurs photovoltaiques chercheront une surface minimum pour installer les centrales dans l’objectif d’atteindre une certaine rentabilité. La concurrence est rude et le contexte économique n’est pas toujours évident. Avec la hausse du coût de l’équipement et la baisse des tarifs de vente de l’électricité dans les appels d’offres, la prise en charge du coût de l’équipement par l’opérateur photovoltaique n’est plus toujours intéressante.

Chaque opérateur photovoltaique ayant son propre modèle économique avec ses niveaux de rémunération et ses contrats, il n’est pas toujours évident de s’y retrouver et de comparer les offres. Mais c’est souvent dans les à-côtés que les opérateurs pourront se démarquer : engagement d’activité agricole, alignement entre projet phovoltaique et projet agricole, participation au capital du projet, participation aux opérations de maintenance préventive, accompagnement technique agricole (passe au bio, HVE…). Certains préconiseront des méthodes plus simples comme des chartes ou des engagements à signer en annexe des projets de centrale.

Les opérateurs photovoltaiques ne sont pas nécessairement fermés à la mise en place d’un prix plancher et plafond pour les loyers (au propriétaire et/ou à l’exploitant) qui servent à inciter l’agriculteur à maintenir une activité agricole. Certains acteurs proposent par exemple de ne pas fournir plus qu’un fermage au propriétaire foncier (gardons néanmoins en tête que certains propriétaires fonciers peuvent être des anciens exploitants avec des maigres retraites). L’intérêt pour le développeur est principalement de l’ordre de l’image, histoire d’assurer l’acceptabilité de leurs projets par les acteurs du territoire. Théoriquement, on pourrait bien évidemment penser à couper la rémunération des agriculteurs si ces derniers arrêtent la production agricole sous les panneaux mais, d’un point de vue réglementaire, ça n’est pas vraiment autorisé. Et ça serait d’autant plus compliqué à mettre en place pour un propriétaire. Il est possible d’imaginer des modèles économiques assez chiadés dans lequel un agriculteur opèrerait un projet photovoltaïque pendant plusieurs années et transmettrait son activité à un autre agriculteur. Dans cette transmission, le propriétaire a son mot à dire aussi et pourrait justement vouloir intervenir.

Les assureurs commencent également à revenir dans la partie en voyant les tables photovoltaiques comme un outil de gestion du risque climatique. Les assurances climatiques en agriculture sont en train de vivre une réforme importante (je vous renvoie vers le dossier de blog correspondant pour les lecteurs intéressés), et les assureurs et réassureurs ont d’autant plus intérêt à se positionner que les coûts des catastrophes climatiques ne cessent d’augmenter. Sur le plan photovoltaique, les systèmes assurantiels peuvent par exemple intervenir pour assurer un manque ou un déficit de soleil avec des dispositifs d’assurances paramétriques dédiés.

Vers quel type de contrat se tourner ? Fermage, Commodat, Bail Emphythéotique ? Si le statut de fermage semble proscrit au vu de la nature commerciale des activités photovoltaiques, les deux autres typologies de contrats semblent être les plus appréciées entre les propriétaires fonciers et les opérateurs photovoltaiques. La signature d’une promesse de bail est néanmoins très engageante pour le propriétaire foncier. Le commodat – en tant que contrat plus flexible (mais aussi plus précaire) pourra être privilégié. La contractualisation de long terme reste, pour les agriculteurs et propriétaires fonciers, un enjeu pour s’assurer qu’ils seront suffisamment couverts. Pourrait-on imaginer des baux ruraux agrivoltaiques ?

De manière générale, les impacts de projets photovoltaiques sur l’économie des exploitations agricoles dans leurs ensemble sont relativement peu mentionnés, et peut être pas assez travaillés. Les sujets à considérer sont extrêmement nombreux :

  • possibles pertes des aides de la PAC,
  • potentiels loyers tirés des centrales,
  • impacts sur la production agricole en terme de quantité et de qualité,
  • changements organisationnels, opérationnels et logistiques dans les itinéraires agricoles (les coûts d’éclaircissage des arbres peuvent baisser, les coûts des filets para-grêle peuvent baisser parce que la structure porteuse est là,
  • débits de chantier peuvent être augmentés si les designs de centrales ne sont pas suffisamment réfléchis, le potentiel besoin de renouvellement en matériel…),
  • questions salariales (avec des potentiels besoins de masse salariale supplémentaire en conséquence de l’installation d’un projet photovoltaique) ou encore
  • questions liés à l’énergie (quid des économies d’argent sur la lumière et l’utilisation de la chaleur produite en autoconsommation versus le coût du dispositif d’éclairage, notamment dans des contextes d’augmentation du coût de l’énergie)
  • ….

Bref, il il y a de quoi se creuser la tête !

Vers des projets de centrales toujours plus externalisés ?


Les opérateurs photovoltaiques ne gèrent pas nécessairement un projet de bout en bout. Certains développeurs ne font en réalité que de la prospection et revendent ensuite les projets une fois qu’ils les ont obtenus. L’opérateur photovoltaïque fera alors appel à des prestataires pour la construction de l’installation sur sites (en France, très peu de sociétés font la construction de centrales – comprenez-ici que cette construction est donc souvent externalisée par les opérateurs photovoltaiques). D’autres opérateurs construisent et vendent. D’autres encore s’occupent de l’exploitation jusqu’au démantellement, ce qui leur donne l’avantage d’évaluer le projet dans toute sa globalité et complexité. Et c’est parfois également un avantage pour l’agriculteur. Avec des projets rachetés ou échangés de main en main, il n’est pas toujours évident de savoir vers qui se tourner quand il y a un problème. Entre un opérateur proche de l’agriculteur et un interlocuteur à l’autre bout du monde au bout du fil, le contexte n’est pas vraiment le même.

La maintenance et la réparation des centrales sont principalement gérées par les opérateurs photovoltaiques. On pourra d’ailleurs parfois leur reprocher d’organiser des chemins et des possibilités de réparation qui leur conviennent, pas forcément toujours réfléchis avec les exploitants agricoles. L’entrée dans les centrales, souvent clôturées, demande une accréditation et une formation en électricité (les agriculteurs doivent aussi être formés). Côté production animale, il est souvent demandé aux éleveurs d’entretenir la végétation autour des tables photovoltaiques dans leurs contrats (d’éviter le développement d’espèces arbustives, débroussaillement…). Si les agriculteurs sont bien plus souvent présents que les opérateurs dans les centrales – leur métier d’agriculteur oblige – la supervision de la centrale est également souvent à leur charge, et ce temps ne doit pas être sous-estimé : suivi de la production électrique de l’installation, de manière instantanée et dans la durée, alerte de l’opérateur en cas d’arrêt de production, vérification des micro-coupures et des ombrages, et comparaison des onduleurs quand il y en a plusieurs.

Outils technologiques et numériques autour des panneaux photovoltaiques


Les agrivoltaismes fixes et dynamiques


En découvrant le domaine de l’agrivoltaisme, on peut être assez vite surpris du foisonnement technologique à l’œuvre opéré par les développeurs pour faire cohabiter les productions agricoles et énergétiques. Ces avancées technologiques sont de plusieurs ordres :

  • La hauteur des tables photovoltaiques par rapport au sol l’espacement nécessaire entre les tables

On parle généralement de hauteur « bas de table » pour caractériser la hauteur minimale entre le sol et la table photovoltaique (les tables sont souvent inclinées – on considère alors le bord bas de la table, celui le plus proche du sol). Plus les tables sont basses et fixes, moins l’infrastructure totale est couteuse. Certains peuvent avoir l’image des centrales au sol sur de grandes surfaces (hors agriculture), très basses, qui sont en réalité plus des champs de miroirs qu’autre chose. D’un point de vue agronomique, on aura plutôt tendance à opter pour des structures plus en hauteur. Un des gros intérêts de mettre en place des structures hautes est de pouvoir faciliter les opérations culturales et le passage des machines sous les panneaux. S’il faut faire monter les structures en hauteur, le prix des structures augmente puisqu’il faut alors une composition plus solide de l’infrastructure (en utilisant de l’acier et en augmentant le nombre de poteaux pour maintenir les tables) et ancrer la structure au sol (parfois en utilisant du béton) pour éviter les problèmes mécaniques et les risques d’arrachage dus au vent (la structure est beaucoup plus sensible au vent au fur et qu’elle est haute par rapport au sol – c’est comme une sorte d’effet voile ou cerf-volant). Certains opérateurs proposent des structures en hauteur, avec des tables photovoltaiques maintenues par des cables et des fils tendus, une manière intéressante de limiter l’emprise au sol des centrales photovoltaiques en diminuant le nombre de poteaux et de pieux. La hauteur des panneaux reste néanmoins toujours une histoire de compromis. Outre les enjeux opérationnels de passage machines pour les agriculteurs, des panneaux proches du sol auront tendance à induire un ensoleillement et une distribution de l’eau hétérogène sous les panneaux, alors que des panneaux en hauteur risquent de générer des effets de bord avec des rayons lumineux pénétrant sous les panneaux par le bord de la parcelle. 

En lien direct avec la hauteur des tables photovoltaiques, l’espacement entre les tables est lui-aussi important pour assurer la synergie entre des approches agricoles et photovoltaiques, à la fois pour maintenir les opérations culturales et les passages machines mais aussi pour faciliter le déplacement des animaux entre les panneaux. On parlera alors de taux de couverture des tables photovoltaiques sur les parcelles, un ratio entre la surface des panneaux à l’horizontal et la surface du terrain agricole sous les panneaux. Des rangées larges entre les tables photovoltaiques permettent par exemple de récolter du foin, de broyer les refus des animaux (ce qui n’a pas été pâturé) ou de désherber. L’espacement entre les tables pose également la question du nombre de poteaux ou pieux utilisés pour maintenir les structures. Avec des structures dites bi-pieu (deux pieux pour maintenir chaque table), les opérations culturales sont forcément rendues plus difficiles qu’avec des structures monopieu.

  • La densité des cellules photovoltaiques

Sans grande surprise, la densité de cellules photovoltaiques sur les tables va influencer directement la quantité de lumière arrivant sur les plantes sous les panneaux. L’organisation et la disposition optimale des modules photovoltaiques doivent être considérés avec attention pour limiter et/ou distribuer les effets d’ombrage. La figure 6 présente un échantillon des dispositions imaginables de modules au-dessus d’une serre photovoltaique (bandes simples ou doubles, bandes décalées ou en damier, densité sobre ou très intense, bandes alternées ou collées…). De nombreux acteurs agricoles ont encore dans les mémoires les images de serres photovoltaiques complètement obturées avec un ombrage fixe qui n’offraient presque aucune luminosité pour la plante (nous en reparlerons un peu plus tard).

Figure 6. Organisations variées de panneaux photovoltaiques sur serre

  • Orientation et inclinaison des modules photovoltaiques

La gestion de l’orientation des modules photovoltaiques permet de travailler sur l’ombrage des plantes. Il est possible de trouver des parcs photovoltaiques avec des tables orientées Nord/Sud ou, au contraire, Est/Ouest. Certains parcs sont effectivement configurés de manière à optimiser le ratio entre la surface des tables photovoltaiques et la puissance installée des centrales. Les tables plutôt nord-sud dans la longueur supportent des champs de panneaux orientés d’un côté vers l’est et de l’autre vers l’ouest. Dans ces structures-là, la densité des tables photovoltaiques est souvent supérieure et ces centrales ont parfois tendance à limiter le passage de la lumière et le ruissellement de l’eau de pluie vers le sol (sauf à utiliser des modules translucides, du pilotage dynamique, et à espacer les tables afin de laisser passer l’eau plus facilement).

Dans les systèmes de centrale où les inter-rangs (ou rangées) sont suffisamment larges, les panneaux peuvent parfois se mettre à la verticale pour laisser passer les engins agricoles (une manière de maintenir une forme de rotation agronomique sous des surfaces de tables photovoltaiques parfois plus difficilement accessibles)

  • Panneaux à une face (monoface) ou deux faces (bifaces)

Les panneaux photovoltaiques bi-faciaux, comme leur nom le laisse sous-entendre, peuvent capter du rayonnement solaire pour produire de l’énergie électrique sur leurs deux faces. L’intérêt de ces modules bi-faciaux en agriculture est de pouvoir capter le rayonnement réfléchi par le couvert végétal (via l’effet albédo des couverts). Cette bi-facialité est également intéressante en ce sens qu’elle se combine bien avec les systèmes de trackers solaires qui n’ont alors plus besoin de travailler sur des étendues d’angles de 180° (il est donc possible de travailler avec des systèmes de tracker plus simples) puisque les deux faces du panneau sont capables de produire de l’énergie. 

Les centrales avec des modules mono-faces et bi-faces (par forcément sur les mêmes centrales) sont intéressantes à combiner parce qu’elles peuvent assurer une complémentarité de l’apport électrique sur le réseau. L’énergie solaire peut être commercialisée à des périodes où les parcs orientés au sud produisent le moins et où le tarif de l’électricité est plus élevé.

  • Type de structure portante : Structures fixes et dynamiques

Les structures photovoltaiques peuvent être fixes – les tables ne bougent pas et gardent la même disposition, localisation, et orientation tout au long de leur période de vie installée – ou alors mobiles, c’est-à-dire que dans ce cas-là, les tables ont la possibilité de se déplacer dans plusieurs axes. C’est ce qui est communément appelé l’agrivoltaisme « dynamique ». Les installations photovoltaiques peuvent prendre plusieurs formes

  • Les tables peuvent coulisser (un peu comme si vous ouvriez ou fermiez une véranda). Ces systèmes peuvent être limités par les écartements entre les poteaux et les rangées de cultures
  • Les tables peuvent changer d’orientation sur un seul axe en suivant la course du soleil (on parle alors de structure mono-axe) avec des systèmes de trackers solaires
  • Les tables peuvent changer d’orientation sur deux axes en suivant la course du soleil (on parle alors de structure bi-axe – la mobilité est donc plus importante que dans le cas du mono-axe) avec des systèmes de trackers solaires

Le pilotage dynamique des tables via les trackers solaires est intéressant pour résoudre le problème de l’hétérogénéité spatiale de la distribution solaire quotidienne pour les cultures (et de l’hétérogénéité de température qui peut être supérieure sous les panneaux fixes par rapport à des zones témoins). On peut d’ailleurs rappeler ici qu’outre les effets d’ombrage sur les cultures, l’hétérogénéité de l’ensoleillement peut aussi poser des problèmes pratico-pratiques et affecter l’organisation de la récolte pour les agriculteurs parce que toutes les cultures ne seront pas forcément aux mêmes stades de maturité. Les systèmes de trackers solaires sont généralement capables de faire pivoter les panneaux sur des angles de +/- 70° (certains opérateurs arriveraient à aller jusqu’à +/- 90° et ainsi couvrir une étendue d’angle complète de 180°).

Les technologies fixes peuvent accepter des pentes de terrain plus importantes (et permettent également de couvrir le terrain de manière plus importante – avec une plus grande densité de tables et de modules).

L’utilisation de structures mobiles offre également la possibilité de se coordonner avec des objectifs agronomiques lors d’aléas climatiques :

  • A l’horizontal, les tables abritent les cultures de la grêle et créent également une sorte d’effet de serre pour protéger d’un potentiel risque de gel pendant la nuit
  • A la verticale, les tables permettent une meilleure répartition de l’eau de pluie et éviter des rideaux d’eau qui iront toujours ruisseler au même endroit sur le sol
  • Lors d’un risque de brûlure sur les fruits lors d’un coup de chaud très vif, les tables peuvent protéger les cultures en maximisant l’apport d’ombre.
  • En cas de vent violent, il faut pouvoir placer les panneaux en position de sécurité parce que la structure photovoltaique peut être très porteuse.

En introduction, nous avions évoqué la notion de point de saturation de la lumière par les plantes. Cette hypothèse, largement plébiscitée par les acteurs du secteurs – énergéticiens et agricoles – laisserait à penser que le surplus de lumière non utilisable par la plante pourrait être utilisé pour produire de l’énergie électrique via les tables photovoltaiques. Le concept de point de saturation pourrait être en réalité un peu plus compliqué. Les plantes réagiraient non seulement à la lumière (pour la photosynthèse) mais aussi à l’alternance d’ombres et de lumières. De manière générale, l’appareil photosynthétique de la plante est toujours excité et prêt, dès qu’il reçoit de la lumière, à fonctionner pour le bénéfice de la plante. Si la plante est à l’ombre, cet appareil photosynthétique est éteint et il lui faudra un certain laps de temps pour se remette en route. En conditions ombragées, notamment sous les structures fixes, la plante aura tendance à s’adapter à ces conditions et pourra développer des feuilles d’ombre. Les plantes vont s’étioler (les entre-nœuds vont s’accroitre pour aller chercher la lumière), les plantes feront des feuilles plus grandes mais plus fines avec un parenchyme déstructuré (avec des trous) et une surface de feuille plus fine. Les feuilles auront bien sûr toujours une capacité photosynthétique, mais cette capacité sera plus efficiente pour des faibles luminosités (la plante sera adaptée à ces conditions). Par contre, les feuilles seront beaucoup plus sensibles aux irradiations fortes, et les feuilles seront alors beaucoup moins efficientes qu’une feuille normale pour réaliser la photosynthèse à des taux de luminosités moyens. Ces effets d’ombres peuvent induire de nombreux désordres physiologiques dont nous avons déjà un peu parlé (sur l’induction florale par exemple…)

Les systèmes dynamiques permettent de travailler sur la stratégie d’effacement des panneaux – comprenez ici que les panneaux « s’effacent » pour laisser la lumière atteindre les plantes. Le tracking continu toute la journée permet de gérer les périodes d’effacement. Il est par exemple tout à fait possible d’être en effacement le matin et de se remettre en effacement en début d’après-midi. Encore une fois, toute est une question de compromis. Plusieurs expériences font état de seuils d’ombrage au-dessous desquels la photosynthèse des plantes est très peu voire pas du tout affectée (certains auteurs préconisent des seuils maximum de 60% d’ombrage).A quels moment les tables doivent-elles laisser passer la lumière ? A quel point la rentabilité d’un projet agrivoltaique peut-elle être dégradée avec un système de pilotage dynamique ? Ces questions ne peuvent pas être négligées puisque, derrière chaque infrastructure photovoltaiques, on pourra trouver des banques et des financeurs.

Avec les systèmes de trackers en place, l’ombrage est tout de suite moins un problème et peut avoir tendance à être relayé au second plan. C’est peut-être ensuite l’eau qui pourra être considéré comme un facteur limitant.

Le pilotage dynamique peut néanmoins aller beaucoup plus loin que le simple suivi solaire par les trackers. Ce pilotage peut en effet intégrer des modèles agronomiques pour considérer également en même temps la croissance des plantes sous les panneaux et optimiser leur ensoleillement. Ce pilotage est bien évidemment d’autant plus compliqué que le système cultural sous les panneaux est complexe (systèmes diversifiés, rotations complexes…) et qu’il demande la construction de plusieurs modèles de croissance de plante. Les modèles de croissance spécifiques permettent de travailler sur des bilans d’énergie (bilans carbonés et bilans d’eau) qui seront affectés par la présence des tables photovoltaiques : l’évapotranspiration des plantes est susceptible de diminuer sous les panneaux, la photosynthèse pourra être réduite, les feuilles pourront être plus chaudes… Et ces systèmes dynamiques permettent ainsi de faire en sorte que la lumière pénètre au maximum aux différents stades phénologiques de la plante (mise en fruit, mise à fleur…)

Modéliser avec précision la croissance des plantes pour pouvoir l’intégrer dans ces systèmes de pilotage dynamique demande d’avoir accès à de l’information à la fois sur la plante elle-même mais également sur ces conditions environnementales. Certains sites d’expérimentation auront alors mis en place un certain nombre de capteurs pour assurer ces suivis. On y retrouvera par exemple des capteurs

  • sur les tables photovoltaiques (inclinomètres notamment) pour en piloter l’orientation en temps réel
  • des stations météorologiques pour quantifier l’état climatique de la parcelle (température de l’air, température des feuilles, pluviométrie, irradiation, vent, capteurs PAR pour mesurer le rayonnement photosynthétique actif, capteur d’humectation du feuillage), construire les modèles d’évapotranspiration des plantes et des modèles d’interception lumineuse, pouvoir piloter l’effacement des panneaux en cas de grêle ou pluie trop intense
  • des sondes (tensiométriques, capacitives, tubes à neutrons…) pour suivre la teneur en eau dans les sols, des dendromètres et des capteurs de flux de sève pour suivre la transpiration des plantes et leur statut hydrique
  • des caméras vidéos pour la surveillance des panneaux
  • des caméras RGB, Multispectral, et Hyperspectrales pour caractériser le fonctionnement des plantes et suivre leur développement au cours de leur croissance végétative.

Bref, certains sites expérimentaux seront vraiment bardés de capteurs. Pourront se rajouter également tous un tas de suivi agro-pédo-climatiques (analyses de sol, suivis de maturité etc…) pour complémenter les modèles agronomiques.

Outils et technologies en développement


Les technologies autour des tables photovoltaiques sont en constante évolution. Ces technologies ne sont bien évidemment pas spécifiques à l’agrivoltaisme en tant que tel – certaines recherches se concentrent sur l’amélioration de l’efficacité des panneaux photovoltaiques – mais il est toujours intéressant de regarder les tendances en cours. En voici quelques exemples :

  • Amélioration des structures des tables photovoltaiques

Certains opérateurs ont commencé à déployer des arches modulaires (ce sont donc des tables photovoltaiques en 3 dimensions) qui peuvent être déplacées, et qui intègrent des modules photovoltaiques directement dans leur structure. Nous l’avons déjà rapidement évoqué mais, pour pallier l’installation lourde de pieux et de structures d’ancrage dans les sols, certains développeurs mettent en place des tables photovoltaiques en hauteur maintenues par des cables et des fils tendus.

Des unités solaires mobiles commencent également à voir le jour. Ces unités peuvent être vues comme des panneaux solaires pré-raccordées dans un container – le containeur est constitué de 200 panneaux photovoltaiques déjà préassemblés et précablés. L’intérêt de ces unités est qu’elles peuvent être déployées et déplacées rapidement. Bien que ces unités aient plutôt été pensées au départ pour des zones sinistrées (cyclone, conflits…), pourrait-on les imaginer dans le cadre de rotations de cultures complexes ou de systèmes avec jachères ?

  • Les tables semi-transparentes 

Contrairement aux tables opaques classiques, les tables semi-transparentes contiennent des cellules photovoltaiques classiques mais aussi des espaces transparents sur la table pour laisser passer plus de lumière. Ces tables, par construction, génèrent moins de puissance puisqu’il y a moins de cellules photovoltaiques au mètre carré. Le prix de ces tables est par contre relativement plus important que pour les tables classiques – un compromis est donc à trouver entre la production agricole et la production énergétique par les panneaux.

  • Amélioration de cellules

Plusieurs recherches sont en cours pour améliorer le rendement énergétique des modules. Le CEA tenterait par exemple d’atteindre des taux d’absorption de lumière au-delà de 45% (les technologies commerciales actuelles permettent d’en atteindre autour de 20-25%). Il est également possible d’entendre parler d’hétéro-jonction (en référence à la jonction NP de la figure 2) comme une technologie différentes des cellules actuelles (les cellules seraient juxtaposées de manières différentes et les typologies de silicium utilisées seraient dopées différemment) et qui présente l’intérêt d’avoir des efficacités importantes, et de meilleurs coefficients de bi-facialité. Les cellules photovoltaiques actuelles sont principalement composées de silicium – ce sont des cellules dites de « première génération ». Les cellules de deuxième génération sont dites sur « couches minces » (leur zone d’absorption ne fait que quelques micromètres d’épaisseur) et seraient plus efficaces et flexibles que leurs cousines de première génération. Parmi ces cellules photovoltaiques de deuxième génération, on trouvera notamment celles au silicium amorphe au CdTe (tellurure de cadmium), au CIGS (cuivre, indium, gallium, sélénium) ou CZTS (sulfure de cuivre-zinc-étain). 

  • Les cellules photovoltaiques de 3ème génération

Ces semi-conducteurs organiques ou les cellules solaires à colorant pourraient être intéressants en ce sens qu’ils pourraient partager le spectre solaire en produisant de l’énergie électrique en dehors des régions spectrales nécessaires à la photosynthèse de la plante (les bandes spectrales dans le rouge et le bleu du spectre visible notamment). On pourrait les considérer comme des couvertures photo-sélectives. Ces cellules pourraient être particulièrement adaptées sur des infrastructures existantes comme des serres où l’on pourrait par exemple les coller au mur. Malgré des caractéristiques qui semblent prometteuses en termes de flexibilité, de légèreté, de diversité des couleurs, de degré de transparence, ou encore de coûts environnemental, ces technologies ne seraient pas encore assez stables ni efficaces pour convertir l’énergie solaire en énergie électrique.

  • Les cellules à concentration

La technologie des concentrateurs solaires luminescents (comme ceux développés par l’entreprise Suisse Insolight) cherche à concentrer un faisceau de lumière sur un point donné d’une cellule photovoltaique, grâce à des lentilles optiques, pour en maximiser l’intensité. L’intérêt de ces cellules à concentration résiderait également dans leur capacité à séparer la lumière directe et la lumière diffuse (cette dernière pouvant être transmise aux cultures). Les cellules seraient capables de suivre le soleil grâce à un mouvement horizontal de quelques millimètres par jour afin de maintenir les cellules alignées avec le composant du faisceau lumineux. Ces technologies sont encore à l’état de développement, coûtent relativement chères, et sont relativement complexes à mettre en place au vu de la précision nécessaire dans le déplacement des cellules pour assurer l’alignement avec le faisceau lumineux.

  • Outils d’aide à la décision

Des outils d’aide à la décision (OAD) – plus ou moins complexes – sont également en train de voir le jour pour accompagner les projets agrivoltaiques. Ces outils privés sont principalement des services sur le web ; on retrouvera par exemple des OAD pour calculer le coût d’un fermage, pour estimer le temps de travail au champ avec une infrastructure agrivoltaique en place, ou encore des outils pour optimiser le design des centrales agrivoltaiques en fonction du climat et des activités agricoles en place.

  • Des robots agricoles sous les panneaux photovoltaiques ?

Dans la mesure où les environnements sous panneaux sont très structurés et contrôlés, pourrait-on envisager de faire travailler des robots agricoles sous les panneaux (par exemple des robots de désherbage. Le fait d’avoir une infrastructure déjà présente pourrait même être un atout pour le déplacement de robots (sur rails, ou se déplaçant entre les poteaux à la manière d’un chimpanzé…). Les clôtures autour des installations photovoltaiques pourraient être l’occasion d’utiliser des machines robotisées de manière sécurisées, et de ne plus être contraints par la directive machines (qui impose notamment d’avoir un opérateur présent sur place pour s’assurer que le robot ne fasse pas n’importe quoi). Si l’on considère également la question de l’autonomie énergétique des robots, le fait pour ces unités robotisées de travailler sous des panneaux photovoltaiques, c’est-à-dire avec une potentielle source d’énergie renouvelable à disposition, pourrait permettre d’aller dans le sens d’une réduction de la dépendance aux énergies fossiles du secteur. La question de l’intérêt et de l’usage des robots en agriculture est beaucoup plus large que ce cas d’étude très spécifique – nous en rediscuterons dans un prochain dossier de blog. Patience, donc…

Un cadre ontologique pour décrire un projet agrivoltaique


Pour aller un peu plus loin dans la description d’une centrale photovoltaique, je vous propose ici une ontologie (un modèle de description des données) pour les centrales photovoltaiques d’extérieur (hors serres), tirée de l’article de Toledo et Scnognamiglio (2021), qui a l’intérêt de montrer toute la complexité du paramétrage d’une structure photovoltaique. L’ontologie est intéressante en ce sens que les auteurs séparent l’organisation spatiale de la centrale photovoltaiques (les motifs de répétition des panneaux – « pattern » en anglais) et la description unitaire des panneaux (« patch » en anglais, le patch correspond à l’unité unique d’une bande configurant un motif, c’est-à-dire le module PV).

  • Motif – Disposition spatiale des tables photovoltaiques
    • Taille des tables (longueur, largeur, surface)
    • Géométrie (bandes parallèles, damier, îles)
    • Type (continu, dispersé, aléatoire)
    • Densité de modules (poreux, dense…)
  • Patch – Description des modules photovoltaiques
    • Transparence (opaque ou semi-transparent/semi-translucide)
    • Taille du module (longueur, largeur, surface)
    • Orientation (angle d’azimut, angle d’inclinaison)
    • Couleur (code RAL, teinte, saturation, luminosité)
    • Bordure (épais, fins)
    • Hauteur par rapport au sol
  • Composantes énergétiques de la centrale
    • Puissance nominale,
    • Nombre de modules,
    • Densité de puissance,
    • Intensité énergétique de l’utilisation du sol,
    • Production annuelle d’énergie normalisée
    • Technologie des modules PV (monoface, biface)
    • Technologie des couches PV (matières actives photovoltaiques, mono/poly cristallin, film sélectif spectral
  • Composantes techniques de la centrale
    • Typologie du système (fixe, orientable sur un axe/deux axes),
    • Système de support des modules (matériau, technologie, poids)
    • Système de fondation (matériau [béton, bois..], technologie, poids).
  • Composante agronomique (les auteurs parlent d’espace interstitiel entre les modules PV et le sol)
    • Caractéristiques du modèle tridimensionnel ou l’arrangement 3D des plantes sous les panneaux (surface et volume de plantation en fonction des panneaux, densité de plantes, capacité à se déplacer autour et sous les panneaux)
    • Caractéristiques des cultures (type, diversité de cultures [monoculture, association de cultures], hauteur des plantes, nombre de mois en production)
    • Caractéristiques énergétiques (irradiation au sol, rendement)

Figure 7. De gauche à droite et de haut en bas : panneaux pilotés dynamique avec filets accrochés, panneaux dynamiques en hauteur, poules sous panneaux fixes, panneaux fixes en rizières, bovins sous panneaux fixes, équins sous panneaux fixes, panneaux dynamiques sur serres, serre multi-chapelle, panneaux installés sur structures existantes.

Tentons de prendre un peu de recul


Des modèles d’agrivoltaisme différents


Il semblerait y avoir en réalité deux modèles d’agrivoltaisme bien différents. Dans un premier modèle, la problématique principale s’articule autour de la stabilité économique de l’exploitation (même si l’on peut y trouver des enjeux d’irrigation). Le contexte est principalement celui d’une agriculture extensive – pastoralisme, prairies fourragères, prairies céréalières, où l’on peut avoir atteint un niveau de technicité déjà élevée. L’agrivoltaisme est alors intéressant en tant que co-activité mais il faut alors réfléchir à quelque chose de simple, robuste, qui ne nécessite pas de subventions, et qui permette de maintenir l’itinéraire cultural en place. L’agrivoltaisme d’élevage est ici un modèle intéressant, avec des tables photovoltaiques simples qui permettront d’assurer une pousse de l’herbe étalée au printemps et en été. Cet étalement permettra de limiter les frais de mécanisation dans le sens où il ne sera plus nécessaire de faire des stocks au printemps pour que les animaux aient à manger en été puisque les panneaux photovoltaiques pourraient permettre d’assurer une production plus lissée entre le printemps (un peu moins de production qu’à la normale) et en été (un peu plus de production qu’à la normale parce que les panneaux protègent des coups de chaud). Ce premier modèle est donc plutôt low-tech (même si certains pourraient ne pas être d’accord avec le choix de ce terme).

Le deuxième modèle est plutôt tourné vers les cultures à forte valeur ajoutée (arboriculture, viticulture, plantes à parfum…). Ici, l’enjeu principal est la pérennisation de la production en maintenant ses qualités originelles (vignobles avec cépages qui peuvent avoir le même taux d’alcool, éviter ou limiter les aléas climatiques importants…). L’idée n’est pas vraiment tant de maintenir l’activité économqiue que de maintenir la production avec le même niveau de qualité. Ce modèle d’agrivoltaisme est plutôt technologique, coûte assez cher à mettre en place et, en termes de rentabilité, peut nécessiter de faire appel à des subventions. Au vu du coût des infrastructures (et de la hausse du coût des matières premières), il faut effectivement que le rendement de la culture sous panneaux soit suffisamment intéressant (on peut imaginer que les acheteurs de Saint Emilion ne soient de toute façon pas choqués de payer leur bouteilles quelques euros plus chers). Pour que les prix de ces projets soient compétitifs – par rapport à une centrale au sol par exemple – il faudra de toute façon des effets d’échelle très importants (parce que les subventions de l’Etat ne seront de toute façon pas infinies).

Ce deuxième modèle pourrait notamment être intéressant sur les terres à fort potentiel agricole pour s’assurer que la production ne soit pas perdue. Le modèle économique est également un peu plus fin – nous en avons déjà évoqué un exemple avec des technologies de pilotage de panneaux. Cet agrivoltaisme dynamique là est plutôt vu comme un service. Est-il nécessaire ou superflu ? Dans un système d’agrivoltaisme dynamique, il est nécessaire d’assumer une production électrique désoptimisée au service de l’agriculture. Et ce modèle n’a pas la même solidité économique partout. Au nord de la Loire par exemple, ce modèle agrivoltaique n’est peut-être pas adressable parce que la peine est double : l’ensoleillement est inférieur à celui du sud de la France (les panneaux produiront moins d’énergie) et le végétal aura en plus besoin du maximum de lumière disponible (les panneaux auront donc plutôt tendance à s’effacer). Le pilotage de l’ombre est également plus difficile à justifier dans le cadre de l’élevage. Même avec des systèmes de trackers en place, l’idée n’est pas d’optimiser l’ombrage pour l’animal, d’autant plus que ce dernier se déplace.

Les deux modèles présentés sont un peu à l’extrême l’un de l’autre, et il y a bien évidemment un certain nombre de modèles et technologies qui gravitent entre les deux (systèmes d’ombrières en hauteur non pilotées…).  

La réussite d’un projet agrivoltaique demande un changement de repère pour l’agriculteur : la lumière utilisée pour produire de l’électricité n’est plus utilisée par la plante. Les sujets à traiter sont donc extrêmement nombreux : Gestion climatique, Organisation des calendriers de productions, Modification des opérations culturales (choix des variétés et densités, fertilisation…), Gestion des circuits de commercialisation, Organisation de la masse salariale, Gestion financière et juridique, ou encore restructuration de la stratégie globale d’entreprise. Et toutes ces questions seront à considérer différemment en fonction de la localisation de l’exploitation agricole. Les enjeux agricoles ne sont pas les mêmes, les parties prenantes économiques ne sont pas les mêmes, et les filières sont différentes. Dans le nord de l’Hérault, le déréglement climatique fait par exemple peser un risque fort de sécurité alimentaire en fourrage pour les éleveurs. Les tables photovoltaiques peuvent alors être intéressantes pour gagner plusieurs semaines de sécurité alimentaire. Ce contexte n’aurait bien évidemment pas été le même dans le nord de la France où dans une zone sans élevage.

Simplicité et flexibilité restent néanmoins peut-être les deux mots clés à garder à l’esprit. Les installations photovoltaiques se mettent en place pour plusieurs dizaines d’années et demandent aux agriculteurs d’être capables de se projeter dans le temps, de travailler sur des questions de transmission, et de potentiels changements de modes de conduite. Mais l’intégration d’une certaine flexibilité dans le système est importante parce que personne n’a de pouvoir de divination. Rien ne dit que le marché de l’élevage ne sera pas totalement transformé dans une décennie (l’atténuation de l’émission des gaz à effet de serre en agriculture passera par exemple par une diminution de la taille du cheptel). Il reste pourtant important, même sans être voyant, de travailler sur des scénarios de prospective et d’essayer d’anticiper les aléas. Des clauses spécifiques peuvent par exemple aussi être rédigées pour se protéger contre des aléas internes (problème personnel, événement dans l’exploitation agricole) ou externes (crise économique, sanitaire ou de filières) – que ces difficultés soient conjoncturelles ou structurelles pour l’exploitation. Les dispositions doivent permettre à l’agriculteur pendant la durée de l’aléa de ne pas se retrouver contraint par le projet, par exemple en étant provisoirement délié de certains de ses engagements jusqu’au retour à la normale.

Faut-il alors adapter le système photovoltaique au système agricole, ou adapter son système agricole au système photovoltaique ? La bonne réponse est peut-être en réalité un peu entre les deux…

Les objectifs de la PPE sont-ils irréalistes ?


Les objectifs de la PPE sont pour l’instant seulement à moitié atteints (par rapport aux objectifs de 2023), pas de quoi donc se réjouir complètement. Il faut quand même dire que les ambitions sont assez élevées dans le photovoltaïque. Et pour faire du photovoltaique, il y a besoin de surfaces. Alors où la trouver ? Plusieurs types de terrain semblent plutôt propices à ce type d’infrastructures. On peut par exemple recenser les toitures de bâtiments, les parkings, les friches industrielles polluées ou non (anciens dépôts d’hydrocarbures, ateliers mécaniques, anciennes usines à gaz, sites de stockage de pneus), les zones d’activités économiques ou de loisirs dont le sol a été décapé, les anciennes installations de stockage de déchets et décharges, les anciens terrils de mine, les carrières et gravières en fin d’exploitation, les anciennes friches industrielles et les friches de sites militaires ou encore les zones délaissées liées aux infrastructures (ferroviaires, autoroutières, aéroportuaires).

En sommant la totalité de ces surfaces, on pourrait être tenté de dire que l’emprise spatiale de ces terrains est suffisante pour couvrir les objectifs de la PPE. Laissez-moi vous ramener à la réalité. Premier problème : la majorité de ces sites sont concernés par des contraintes techniques ou administratives qui empêchent la mise en place de ces projets d’infrastructures photovoltaiques. Ces contraintes sont principalement dues à la proximité de ces potentielles centrales photovoltaiques avec un monument historique, un aérodrome, une aire de protection écologique, ou encore une zone de captage d’eau. On peut donc raisonnablement s’attendre à des besoins d’étude d’impact et d’études environnementales qui viendrait refroidir les investisseurs. Certains de ces sites, pris indépendamment, sont en réalité assez petits et ne permettent pas d’installer des puissances suffisamment intéressantes d’un point de vue économique (parce qu’il faudra rajouter les coûts de raccordement au réseau, et que les économies d’échelles sont trop faibles). On peut comprendre qu’en termes de gestion de projet, gérer un actif morcelé (avec par exemple plein de toitures) est plus lourd que gérer un actif centralisé sur une surface assez large. L’aspect économique peut bien sûr également intervenir si les sites ne sont pas assez ensoleillés et si les développeurs ne considèrent par le retour sur investissement suffisamment intéressant. A noter également que certains gisements en toiture ne seraient pas exploitables parce que les toitures n’auraient pas été dimensionnées pour supporter la surcharge due au poids des panneaux. Certains sites ont également tendance à être mis de côté par les développeurs parce qu’ils seraient trop cher à réinvestir ou parce que les enjeux environnementaux seraient trop importants (Seveso, PPRT, pollution pyrotechnique). Les propriétaires de certains sites préfèreront reconvertir leurs sites vers des zones urbaines (habitat, zone d’activité) plutôt que d’y installer des centrales photovoltaïques. Pour d’autres encore, c’est la durée d’installation des panneaux sur le site qui peut poser problème. On peut effectivement penser à des zones d’activité commerciales ou à des supermarchés qui n’auraient pas envie d’installer des ombrières sur leur parking au cas où ils envisageraient d’étendre leurs zones commerciales.

Malgré les incitations gouvernementales en place sur ces terrains préférentiels (et les appels d’offre dédiés de la CRE), force est de constater qu’ils ne suffisent pas à assurer à la fois le rythme de croissance souhaité et le niveau de compétitivité espéré. Trouver du foncier reste donc une problématique majeure et, dans la mesure où la majorité de ces précédents terrains a déjà été soit prospecté, signé ou construit, le foncier agricole reste une alternative intéressante pour les développeurs – une part prépondérante du foncier en France étant du foncier agricole. Les zones naturelles sont envisageables – certains développeurs prospecteraient encore – mais l’on peut imaginer la complexité autour des enjeux de biodiversité dans ces territoires-là. Sur les terrains agricoles, les opérateurs préféreront mettre en place des contrats gré à gré avec les agriculteurs parce que les appels d’offre innovation de la Commission de régulation de l’Energie (CRE), bien qu’intéressants financièrement sur les tarifs de rachats d’électricité, limitent les surfaces des projets agricoles sur lesquels les centrales sont implantées (je vous renvoie à la section dédié aux appels d’offre de la CRE).

Selon les estimations, atteindre les objectifs de la PPE demanderait d’utiliser une surface de 30 000 à 40 000 hectares, toutes surfaces confondues. Actuellement, les centrales solaires au sol représenteraient entre 35 à 50 % de la puissance installée du parc solaire photovoltaïque français, soit entre 5000 et 7500 hectares (les autres 50% étant globalement à trouver sur les toitures). Cinq cent (500) hectares seraient d’origine agricole. Une étude de Solagro de 2020 estime, en très grosses mailles, qu’entre 10 et 50% de cette future demande en surface (pour atteindre les 30 000 à 40 000 hectares demandés pour atteindre les objectifs de la PPE) sera prise sur des terrains agricoles. Comment se positionner face à ces chiffres ? A-t-on affaire à une artificialisation massive des terrains agricoles pour cause de production d’énergie renouvelable ?

L’artificialisation des terres agricoles est une réelle problématique – et elle est d’autant plus d’actualité que les projets de centrale peuvent faire concurrence au foncier agricole. On peut craindre effectivement que certaines terres changent de destination. Cette concurrence foncière est souvent remise au cœur des débats avec les énergies renouvelables. Que ce soit pour l’éolien, le photovoltaique, les biocarburants ou encore la méthanisation, le foncier agricole a toujours été vu comme un point de destination pour des questions d’espace et de compatibilité. Et la surface nécessaire à l’implantation de ces infrastructures est totalement liée à la densité énergétique de chacune de ces énergies – des énergies denses demanderont moins d’espace que des énergies moins dense (toutes choses étant égales par ailleurs). Le photovoltaique fait partie des énergies renouvelables les moins denses, mais c’est également le type d’infrastructures le plus facile à mettre en œuvre. Et comme nous l’avons discuté, la France a une volonté assez forte – liée à un contexte politique et à l’utilisation de terres sans conflits – de privilégier les toiture et ombrières ou terrains anthropisés (friches, carrières…). Toutes les zones agricoles ne sont néanmoins pas comparables. On peut imaginer que sur les zones à nitrates, là où les risques de pollution sont très importants (par exemple près des bassins ou aires d’alimentation de captage d’eau), l’implantation de centrales photovoltaiques soit moins génante.

Rappelons peut-être ici quelques ordres de grandeur et tentons de comparer des choses comparables. La surface agricole utile (SAU) française est de l’ordre de 29 millions d’hectares. Les surfaces artificialisées en France représentent près de 6 millions hectares (Terre de Lien, 2022). On y retrouve les zones de logement, les zones industrielles et de commerce, et l’ensemble des infrastructures routières du pays (routes, voies ferrées, parkings, chemins, chantiers, terrains vagues…). Rappelons quand même que le principal facteur d’artificialisation des sols reste l’habitat… Ce sont, en moyenne depuis les années 80, près de 60.000 hectares qui s’artificialisent chaque année. En regardant ces chiffres, il apparait que la potentielle emprise foncière attribuée au photovoltaique (quelques dizaines de milliers d’hectares) est relativement faible au regard des autres phénomènes d’urbanisation et d’artificialisation en cours. L’idée n’est bien évidemment pas ici de défendre corps et âme les projets de centrale photovoltaique mais de partager des clefs de lecture commune et de prendre du recul sur le sujet. Pour aller plus loin, ne préfererions-nous pas même dire qu’il est largement préférable d’avoir 2% de la surface agricole utile utilisée pour du véritable agrivoltaime avec la totalité des parcelles en production sous ces projets, que d’avoir 0.5 % de la SAU dédiée à des centrales photovoltaiques au sol où toute production agricole a été arrêtée ? Malgré tout, la complexité réside également dans le fait que la définition des terrains dégradés et artificialisés n’est pas toujours très claire et qu’elle peut dépendre du document d’aménagement du territoire considéré.

L’étude de Solagro de 2020 s’est également intéressée à comparer ce foncier photovoltaique à la demande en surface agricole pour répondre aux objectifs de production d’agro-carburants de 2007 (ce n’est pas de l’artificialisation, certes, mais on reste sur de la production d’énergie). L’étude nous apprend que le photovoltaïque au sol engagerait une superficie 43 fois inférieure aux surfaces consacrées aux agro-carburants en 2007. Rajoutons également qu’artificialisation ne rime pas forcément avec imperméabilisation (même si c’est globalement souvent le cas). En 2014, 2/3 des sols artificialisés étaient imperméabilisés. La question qui se pose est de savoir si des projets agrivoltaiques, s’ils sont bien construits, peuvent vraiment être comptabilisés comme de l’artificialisation, ou en tout cas, peut-être pas dans leur globalité. En plus des tables photovoltaiques, une centrale photovoltaique au sol comprend notamment une clôture sécurisée, une citerne incendie, des pistes de concassé pour la circulation des véhicules lors des travaux et de la maintenance (et potentiellement des pistes pour les pompiers), des postes de transformation de l’énergie, et un poste de livraison de l’énergie. Néanmoins, les projets agrivoltaiques, s’ils sont bien réfléchis en amont, doivent pouvoir être facilement démantelés et laisser le terrain revenir à son état d’origine (même si l’on est d’accord que l’état initial est, d’un point de vue théorique, impossible à ré-atteindre complètement). De manière générale, les enjeux d’imperméabilisation des sols sont particulièrement préoccupants et l’on peut espérer que les propositions et dispositifs autour de la loi sur l’eau viennent apporter des éléments de réponse. La récente création de l’observatoire sur l’artificialisation des sols, dans le cadre du Plan biodiversité, fait également partie des dispositifs de vigilance qui permettront de continuellement requestionner ces enjeux et usages.

Malgré tout, à nouveau, comme l’irradiation n’est pas homogène sur le territoire, on peut s’attendre à ce que certains terrains agricoles soient beaucoup plus pourvus que d’autres. A titre d’exemple, l’irradiation en pleine puissance serait autour de 2000h pour la Réunion, 1000h pour Paris et 1500h pour le Sud Est de la France. Rajoutons également que de nombreux terrains agricoles sont, par leur nature, hors d’intérêt pour les principaux développeurs : les terrains agricoles avec une pente trop forte ou encore les terrains où la pente est orientée Nord. On pourrait encore affiner en déterminant les types de SAU pertinentes pour héberger de l’agrivoltaïsme : cultures pérennes sous stress climatique dans le Sud de la France, prairies permanentes pour améliorer le bien-être animal et son alimentation,

Vers des projets agrivoltaiques ancrés sur les territoires


Les objectifs de la PPE doivent être déclinés au niveau des territoires ; territoires sur lesquels les projets agrivoltaiques doivent correctement s’intégrer. Les documents d’aménagement du territoire y sont d’ailleurs nombreux : urbanisme (SCoT, PLUi), planification énergie-climat (PCAET, SRADDET). Et les territoires de mettre en avant des stratégies (certes parfois totalement irréalistes) de régions et territoires à énergie positive (acronyme TEPOS) ou de neutralité carbone. Force est de constater que le sujet des énergies renouvelables – et notamment du photovoltaïque – est ainsi largement abordé dasn ces documents d’aménagement. Et quand il est combiné avec des objectifs de stockage de carbone dans les sols agricoles, on est rarement déçu du voyage… (les lecteurs intéressés pourront retrouver un article de blog sur ce sujet du carbone). Il faudra d’ailleurs peut être rappeler à certains que ce n’est pas parce que l’on envoie de l’énergie électrique d’origine renouvelable sur le réseau grâce à des tables photovoltaiques installées que l’on consomme nécessairement de l’électricité renouvelable (on ne choisit pas l’électricité de son réseau).

L’intégration du site agrivoltaique dans un projet de territoire est importante et elle peut se matérialiser de plein de façons différentes. Il sera par exemple possible de faire travailler une CUMA en local ou de l’appuyer pour qu’elle puisse par exemple construire un hangar, de développer une filière ou un débouché local, ou encore de réfléchir à l’installation d’un abattoir local si un projet d’agrivoltaisme d’élevage voit le jour. Les revenus de l’agrivoltaisme pourraient également tout à fait servir à financer une contribution aux acteurs de la filière agricole du territoire pour permettre un soutien direct au tissu local, une aide aux jeunes agriculteurs dans la création ou la reprise d’exploitation, et de manière plus générale une plus grande acceptabilité du projet par les habitants du territoire (citoyens, acteurs économiques, élus…).

Le photovoltaique ne doit pas être une subvention déguisée pour l’agriculteur. Certains opérateurs photovoltaiques malveillants auront tendance à aller en priorité vers les agriculteurs en souffrance pour s’assurer d’une acceptabilité plus rapide des projets photovoltaiques. Ce sont peut-être ces projets qui ont le risque le plus important d’être des projets alibi. L’agriculteur (ou le collectif d’agriculteurs) doit être une partie prenante forte du projet agrivoltaique et doit même prioritairement être à l’origine du projet. En investissant financièrement dans le projet – c’est-à-dire en prenant aussi leur part de risque – les agriculteurs auront tout intérêt à avoir un projet agricole sérieux en tête. Et le regroupement d’agriculteurs au sein d’un même projet est extrêmement pertinent. En partageant des terres, un collectif d’agriculteur aura par exemple la capacité de lancer un projet que chaque agriculteur indépendamment n’aurait jamais pu lancer.

Plusieurs sondages laisseraient à penser que la population serait plutôt favorable à l’implantation de parc photovoltaiques sur terrains agricoles dans la mesure où ils seraient néanmoins considérés réellement comme de l’agri-voltaisme. Un des points noirs pour la population tourne néanmoins autour de l’impact paysagers de telles centrales. L’intégration paysagère reste en effet le plus difficile à gérer. Avec ses grillages à plusieurs mètres de hauteur et ses tables photovoltaiques parfois impressionnantes, les centrales photovoltaiques peuvent faire peur, et donnent quelquefois plus l’impression d’un site industriel qu’autre chose. Les français sont très attachés aux paysages et aux charmes de leur territoire (et à leur vue panoramique depuis leurs maisons pavillonnaires, villas et piscines). Seront-ils prêts à en faire l’écueil ? Certains terroirs – pensons par exemples aux AOP et AOC de vignes – ont tout misé sur les paysages et le tourisme. Difficile d’imaginer des centrales installées sur plusieurs hectares de vignes sans confrontation forte avec les acteurs du territoire, même si ces centrales sont censées protéger la vigne des aléas climatiques… Rajoutons à cela qu’au vu de la répartition de l’irradiation sur le territoire français, les projets de centrale photovoltaïque auront plutôt tendance à être inégalement répartis sur le territoire, ce qui n’arrangera pas forcément la donne en termes de confrontations locales. Avec des procédures de création de centrales de plusieurs années, il faut être patient. Certains agriculteurs auront même eu le plaisir de recevoir quelques critiques acerbes quant à l’implantation de projets intégrés et bien construits d’agrivoltaisme d’élevage sur leurs exploitations qui, à en croire des riverains bien évidemment experts, limiteraient la biodiversité.

Dans quelques parcs nationaux, certains projets photovoltaiques auront pris le pas et proposent maintenant des circuits pédagogiques et des panneaux d’information autour des centrales pour expliquer aux passants de quoi il retourne. Certains développeurs réfléchissent également à enlever les grillages autour de leurs centrales, notamment sur les projets où les tables photovoltaiques sont en hauteur (il faut dire également qu’une fois que les panneaux sont déjà montés et installés, ils sont plus durs à voler). Miser et insister localement sur l’autonomie des territoires en énergie verte et la production d’énergie en circuits courts pourrait apaiser les esprits…De plus en plus de porteurs de projets de toutes tailles font également appel à l’investissement participatif et citoyen pour partager la rentabilité des projets agricoles, avec l’idée sous-jacente de faire monter ces projets en qualité, transparence, et acceptabilité. Ces investissements restent quand même dans leur grande majorité assez faible au regard du prix total d’une centrale agrivoltaique.

De manière plus générale, les centrales photovoltaiques donnent à voir ce que la population semble avoir oublié. La production d’énergie n’est pas immatérielle, et elle peut prendre de la place. Les riverains sont globalement d’accord pour produire de l’énergie – si tant est qu’elle soit verte – mais pas trop près de chez eux, il ne faut pas pousser…

Des démarches normatives et réglementaires encore peu stabilisées


Entre vision doctrinaire et laisser aller


L’agrivoltaisme ne laisse pas tout le monde indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire. On voit actuellement se multiplier des chartes locales à des échelles territoriales très variées, certaines chartes ayant d’ailleurs des périmètres qui se chevauchent entre elles. Certaines collectivités ont élaboré des chartes en lien avec leurs documents de planification ou de développement (Scor, Plu, PAT…). D’autres ont été proposées par les principaux syndicats agricoles (FNSEA, ACPA) et par des syndicats de filière (FNO, Synalaf..). Une doctrine nationale serait également en cours de construction.

De nombreuses structures étatiques et para-publiques ont tendance à freiner le déploiement de la filière agrivoltaique sous couvert d’une vision parfois assez doctrinaires et idéologiques. Certains départements, débordés et submergés de demandes, préfèrent garder un cadre d’acceptation de projets agrivoltaiques très étroit pour faire face. D’autres instances (chambres, DDT…) ont peur de se retrouver avec des hectares de photovoltaiques sur le territoire et d’en être tenus responsables. Mais peut-on réellement leur en vouloir ? Les mauvaises expériences du passé leur auront laissé un goût amer. Les acteurs du territoire gardent en effet en mémoire les serres photovoltaiques françaises bien financées mais très mal conçues pour que se développe une production agricole dessous. Et les exemples allemands, où la méthanisation s’est substituée à l’élevage (les vaches avaient été remplacées par du maïs à destination des méthaniseurs suite à des contrats d’achat particulièrement séduisants) auront également largement fait parlé d’eux.

En France, jusqu’en 2011, l’ensemble des projets photovoltaiques, que ce soient au niveau des toitures, des parcs au sol, ou des ombrières, ont bénéficié d’un tarif d’achat garanti de l’électricité produite, fixé par l’État sur une durée de 20 ans. Autant dire que certains malins en auront profité pour se faire un joli petit pactole. L’image de la filière a été très largement écornée lorsque de nombreuses serres photovoltaiques, construites par des producteurs d’électricité, ont poussé de nombreux maraichers à arrêter leurs activités agricoles et à déposer le bilan. L’outil photovoltaique était à l’époque d’abord pensé pour produire de l’électricité et la composante agricole n’était pas du tout à l’ordre du jour. Certains agriculteurs auraient également investi dans de nombreuses serres en créant de multiples sociétés de projets photovoltaiques (SPV) sans réellement mettre en place d’activités agricoles dessous. Ces serres, largement occultées par la lumière et ressemblant en réalité plus à des hangars de stockage qu’à des zones de production agricole, ont alors été utilisées principalement pour produire de l’énergie et sont aujourd’hui complètement laissées à l’abandon (https://ms-my.facebook.com/permalink.php?story_fbid=283642863948662&id=100069088500003). Il y aurait aujourd’hui entre 60 et 80% des serres photovoltaiques agricoles sous lesquelles il n’y aurait plus d’agriculture (et ces projets n’ont pas été sanctionnés). Ces projets sont désormais interdits. De la même façon, certains acteurs auront vu ces tarifs d’achat garantis comme une très belle occasion de créer des bâtiments (agricoles ou non, surdimensionnés ou vides) compatibles avec le guichet ouvert (moins de 100 kW) simplement pour y installer des panneaux photovoltaiques sur les toits. En 2011, suite à un rapport de la Cour des Comptes, l’Etat met en place un moratoire sur le photovoltaïque pour endiguer la bulle spéculative en cours et introduit un nouveau cadre de soutien aux projets, qui est révisé régulièrement (je vous renvoie à la partie sur les appels d’offre CRE en début de dossier). Le coup porté par l’Etat est brutal et de nombreuses entreprises qui avaient lancé des projets photovoltaiques et embauché des salariés sont obligées de mettre la clef sous la porte

Certaines instances agricoles sont également frileuses quant à l’arrivée des principaux producteurs d’électricité et de gros développeurs du marché. Comme les projets agrivoltaiques ne sont pas éligibles aux appels d’offre de la CRE – hors ceux dédiés à l’innovation, les développeurs photovoltaiques ont plutôt tendance à s’intéresser à de grandes surfaces agricoles. Des projets de centrales au sol sur plusieurs centaines d’hectares auront notamment récemment vu le jour. Pour les développeurs photovoltaïques, la négociation de gré à gré avec les agriculteurs, hors appels d’offre CRE, est beaucoup plus simple à gérer que les appels d’offres publics pour terrains dégradés. Il y a notamment moins de concurrence et les coûts de préparation du terrain agricole sont plus faibles que dans le cadre des anciens sites d’extraction ou d’enfouissement qui nécessitent d’importants travaux de nivellement, de dépollution, ou des ancrages spécifiques.

L’arrivée de ces producteurs d’électricité est également motivée par les objectifs de la programmation pluri-annuelle de l’énergie (PPE) mais aussi par tous les industriels du secteur économique qui demandent à avoir une partie de leur consommation d’énergie couverte par les contrats gré à gré (PPA). Ces industriels savent qu’ils devront de toute façon réduire leur empreinte carbone, au risque de sanctions importantes, et ont la volonté de s’approvisionner avec des sources d’énergie renouvelables.

De nombreux acteurs – énergéticiens ou non – s’impliquent sur les sujets d’agrivoltaisme pour des raisons opportunistes, voyant derrière ces projets la capacité de se déployer sur des terrains agricoles. Entre greenwashing et production alibi, il ne faut pas se laisser prendre. Force est de constater que certains opérateurs ne comprennent rien en agriculture, Certains ne font pas la différence entre un propriétaire et un exploitant agricole, d’autres envisagent d’organiser de la transhumance d’ovins sous panneau, d’autres encore n’envisagent pas les enjeux de transmission d’exploitations à la nouvelle génération d’agriculteurs. Les opérateurs ne sont pas tous réceptifs car les contraintes des projets agrivoltaiques peuvent être importantes (nombre de panneaux, espacement entre les panneaux, différents types de technologies adaptées aux itinéraires de production agricoles…). Les gros producteurs d’électricité ne sont pas toujours non plus les plus cohérents en ce sens qu’ils pourraient avoir tendance à voir ce sujet de l’agrivoltaisme à une échelle territoriale très large. Nous avons vu assez largement qu’il était difficile de généraliser les résultats de projets agrivoltaiques. Néanmoins, en restant objectifs, on pourrait rajouter que plusieurs des gros producteurs qui se sont lancés dans la production d’énergie renouvelable ont une longue tradition et présence historique en France. Certains ont pu développer une compréhension du milieu agricole français et ont pu prendre conscience de la complexité de développement que peut représenter de tels projets (contraintes opérationnelles et logistiques de l’agriculteur sur l’espacement et la taille des panneaux, stratégie d’autoconsommation de l’agriculteur, prise en compte de l’itinéraire cultural de l’agriculteur…), avec la volonté de construire des projets dans un cadre propre et validé par les territoires.

Au risque de rester dans une vision assez réductrice de l’agrivoltaisme et en ne regardant que les mauvaises expériences du passé, il pourrait être dommage de laisser passer des projets agrivoltaiques bien construits, Que ce soit sur l’implantation de centrales sur des terrain de toute façon peu fertiles et productives ou sur des projets partagés par plusieurs agriculteurs générant de nouveaux emplois agricoles et bien implantés sur le territoire, les possibilités sont nombreuses.  Les visions et doctrines sur le territoire restent assez différentes. Les instances sont de toute façon assez hétérogènes sur le territoire (en termes de syndicalisme, d’ouverture d’esprit, de chauvinisme …). Certaines chambres accompagnent par exemple très fortement le développement de l’agrivoltaisme. Ce n’est finalement peut-être pas trop un hasard surtout dans le centre de la France (par exemple dans le Limousin) où la production allaitante fait tout juste vivre les éleveurs et pose des questions quant à la pérennité de l’élevage, la faible alternative à l’élevage allaitant, et le renouvellement des générations d’agriculteurs. Mieux vaut pour certains mettre en place des projets agrivoltaiques que d’être en régression sur l’élevage. Au vu de la faible rémunération des agriculteurs, on peut difficilement les blâmer quant à la volonté d’assurer un complément de revenus en utilisant une partie de leurs terres agricoles pour des projets agrivoltaiques, la rente locative pouvant s’avérer bien plus alléchante que la production agricole en elle-même. On pourra néanmoins se demander si le problème n’est pas beaucoup plus large que ça : modèles agricoles dominants, faibles rémunérations des éleveurs, chaines d’approvisionnement longues…

Restons néanmoins d’accord sur une chose : les dossiers alibis et patrimoniaux doivent être bloqués. Certaines instances sont également submergées de dossiers avec des terres communales, certains élus y ayant vu une manne financière pour leur territoire, sans forcément y associer les agriculteurs…

Un manque de cadre réglementaire


Actuellement, il semble relativement difficile de récupérer des informations géographiques sur la localisation des projets photovoltaiques par les acteurs institutionnels, ni de connaitre le nombre exact de projets finalisés (Acte Agri Plus en aurait recensé plus de 200 en Europe en 2021). Cette difficulté est notamment due au fait que l’agrivoltaïsme ne fait l’objet d’aucune définition légale ou réglementaire. La création d’un observatoire de l’agrivoltaïsme, proposée par l’assemblée nationale lors de sa mission flash, devrait permettre d’éclaircir les choses.

Sans cadre réglementaire, l’interprétation de la loi reste libre auprès de n’importe qui et de toutes les parties prenantes ; et les opportunistes ne sont jamais très loin pour faire accepter leurs projets alibis. On peut s’inquiéter des définitions assez peu précises de l’agrivoltaisme. Encore une fois, personne ne semble vraiment se mouiller. Aucun guide (que ce soient ceux de l’ADEME, de l’AFNOR ou autre) n’est actuellement retenu comme le guide de référence dans lequel on pourrait trouver les indicateurs qui statuent sur la viabilité d’un projet agrivoltaique dans sa dimension agricole. La langue de bois est certes compréhensible tant les enjeux sont importants pour les acteurs de la filière. Il faut dire que le lobbyisme est assez puissant entre la SER, France Agrivoltaisme ou encore Solar Europe qui regroupent parmi eux de nombreux producteurs d’électricité. Mais les décideurs publics doivent prendre le sujet à bras le corps et rendre les décisions objectives. Une charte nationale serait en cours sur le sujet. Les décideurs devront également faire confiance aux acteurs locaux qui seront à même d’apprécier au cas par cas la qualité des projets agrivoltaiques.  D’autres pays dans le monde auront su un peu plus s’accorder (exemple du Japon), en proposant par exemple que la production agricole ne descende pas sous un seuil de 80% par rapport à une référence initiale (encore faut-il être clair sur cette référence), en fixant une hauteur minimale des panneaux pour que les machines agricoles puissent passer dessous, et en allouant des permis temporaires de conversion de terre agricole.

Le cadre réglementaire est certes nécessaire pour limiter les dérives (nous n’avons pas envie de voir non plus arriver des méga projets qui favoriseraient certains types d’agriculture), mais il ne doit pas constituer un frein au développement des projets agrivoltaïques. On pourrait d’ailleurs rajouter que les objectifs de la PPE sont encore loin d’être atteints et que le rythme de l’administration des dossiers ne facilite pas la tâche. Le lancement d’un projet photovoltaique prend quand même un certain temps et nous avons vu que les codes de l’urbanisme, de l’énergie et de l’environnement étaient parfois contradictoires. Plusieurs propositions ont été faites dans le sens d’une simplification du processus administratif autour des projets agrivoltaiques en favorisant notamment l’harmonisation des procédures et des décisions entre les différents territoires, le partage d’expériences des acteurs locaux, l’accessibilité des appels d’offre CRE à des projets moins innovants, et en limitant les contraintes au déploiement des projets photovoltaiques comme le besoin de déposer des permis de construire quand le projet photovoltaique n’est pas trop important. Il sera néanmoins important d’assurer un contrôle sur le terrain – nous avons vu que les structures locales (notamment la CDPENAF) pourraient jouer ce rôle-là. Et de nombreux critères pourraient être réfléchis, soit pour favoriser les projets agrivoltaiques les plus vertueux dans les appels d’offre (avec par exemple des bonifications agronomiques, comme il existe des bonifications quand les projets sont réalisés sur des terrains dégradés), soit pour conditionner les aides, compléments de rémunération ou compensation à des projets solides et ancrés sur leur territoire : critères agronomiques, critères liés à l’emprise au sol, critères liés aux objectifs de développement agricole dans les régions, ou encore des critères liés au modèle d’affaire des projets.

Un retour d’expériences encore trop faible


Contrairement au monde agricole, le monde des énergéticiens n’a pas forcément l’habitude de s’inscrire dans une démarche d’expérimentation. Des expérimentations ont effectivement lieu avec certaines technologies, dans le cadre de certaines co-activités, mais pas toujours avec une méthodologie scientifique qui ne soit pas celle du développeur.

Actuellement, très peu de parcs photovoltaiques sont réellement adaptés à l’agrivoltaisme. Il est donc difficile de créer de la donnée et de la connaissance. Au vu du peu de données disponibles actuellement, les enjeux de confidentialité sont forts. Ceux qui disposent de quelques données ne sont pas vraiment enclins à la partager, déjà parce qu’ils ne savent pas nécessairement ce qu’ils donnent (ils ne disposent pas de données de long terme) et qu’ils savent encore moins ce qu’ils pourraient récupérer (si d’autres opérateurs leur fournissaient leurs données) et comment l’information sera diffusée. Et ce d’autant plus qu’il n’existe pas vraiment de définition claire de ce qu’est l’agrivoltaisme… Certains pays, à l’exemple d’Israël, auraient ouvert des appels d’offres avec des catégories dédiées à l’agrivoltaisme pour de nombreux projets de petite taille ; une façon pour eux de multiplier les projets sur les territoires et ainsi de recueillir de nombreuses données. Ce manque de données peut paraitre assez paradoxal lorsque l’on voit que certains projets d’expérimentation sont bardés de capteurs. A-t-on réellement besoin de déployer autant de mesures fines ? A-t-on réellement besoin de caméras pour suivre la pousse de l’herbe sous les panneaux ?

Tout le monde est globalement d’accord pour récupérer la connaissance mais, quand il s’agit d’investir de l’argent pour générer cette connaissance, c’est un tout autre problème. Certains producteurs accepteront de réaliser des suivis relativement simples mais auront du mal à intégrer ces coûts dans leurs business plans. Avec les comités de pilotage et de suivi des nouveaux projets agrivoltaiques – comités notamment demandés par des chambres d’agriculture ou par des opérateurs – c’est autant de temps à attendre avant de pouvoir disposer de résultats véritablement exploitables. Avec la diversité des projets agricoles, il est relativement difficile de généraliser des résultats. La question qui se pose est de savoir si, par rapport à la multitude des exploitations et des itinéraires culturaux qui existent, les parties prenantes auront assez de données pour faire des analyses statistiques sérieuses au bout de quelques années. Les contextes pédoclimatiques, les races bovines, les assolements, ou encore les itinéraires culturaux sont autant de paramètres variables qui ne sont pas nécessairement standardisés. Comme nous l’avons discuté allégrement dans ce dossier, il est difficile d’être entièrement confiant sur l’incidence des panneaux sur la production de biomasse, la sélection des espèces les plus adaptées aux installations photovoltaiques, l’impact des centrales sur le bien-être animal ou encore les dispositifs technologiques les plus optimisés pour une production donnée (largeur et inclinaison des panneaux, hauteur des structures…). Pour l’instant, peut-être faut-il plutôt adopter une position d’humilité et accepter que nous ne savons pas tout.

Est-il vraiment si facile de lancer un projet agrivoltaique ?


Rajoutons peut-être également la spécificité de la France face à son agriculture (nous sommes un pays très fier de ses terroirs) et au solaire (avec l’imaginaire du nucléaire assez prépondérant), deux paramètres qui distinguent assez fort la France et que les énergéticiens et développeurs étrangers n’appréhendent pas forcément en venant sur le territoire. La spécificité à la française, avec les dispositifs de la commission de régulation de l’énergie, et les mécanismes administratifs déployés en local (CDPENAF, collectivités, Chambres…) protègent également la France des acteurs étrangers ou spéculatifs qui viendraient sur le marché français et qui pousseraient à une uniformisation du marché agrivoltaique.

La plupart des projets de centrales photovoltaiques met entre 5 et 10 ans à voir le jour, autant dire qu’il n’y pas non plus de risque de voir surgir une centrale sur une parcelle en deux coups de cuillère à pot. Pour l’instant, force est de constater qu’il y a relativement peu de règles et, quand il y en a, qu’elles ne sont pas forcément complètes ni harmonisées. D’un point de vue réglementaire, la mise en place d’installations photovoltaiques doit jongler entre le code de l’énergie, le code l’urbanisme et le code de l’environnement. Le parcours du combattant commence au niveau de l’administration.

Le code de l’énergie, nous en avons déjà parlé avec les appels d’offre à la CRE et les contrats de gré à gré sur les marchés. Ce code définit grosso modo comment se raccorder sur le réseau et à quel prix l’opérateur photovoltaïque verra son électricité rachetée (c’est à ce moment-là également que nous avons fait la différence entre les rachats obligatoires, la compensation agricole, et les compléments de rémunération pour les opérateurs…).

Les installations photovoltaïques sur terrains agricoles sont réglementées par le code de l’urbanisme mais les dispositions du code de l’urbanisme sont moins restrictives et détaillées que celles de la CRE. Un terrain agricole n’est, de base, pas constructible. Néanmoins, le règlement de l’urbanisme peut être adapté sous certains conditions pour que le terrain devienne bâtissable, notamment en adaptant les cartes communales et les plans locaux d’urbanisme (PLU ou PLUi). Sur les zones agricoles (zones A) et naturelles (zones N) des plans locaux d’urbanisme (PLU), seules les constructions et installations nécessaires à l’exploitation agricole (et forestière pour les zones N), à des équipements collectifs ou à des services publics (CINASPIC) « dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages » sont autorisées. Autant dire que les champs d’interprétation sont assez ouverts pour les demandes d’autorisation d’urbanisme. Il ne s’agit plus alors que de démontrer la compatibilité de l’équipement photovoltaïque avec l’exercice d’une activité agricole (ou la nécessité pour la production agricole), sans traiter de son incidence sur la qualité de celle-ci.

Vous en voulez encore ? Pas de problème. On peut y rajouter également des considérations autour des Lois « Montagne » et « Littoral » dans le cas des communes riveraines de la mer ou de la montagne qui pourraient bloquer l’installation de centrales photovoltaiques, ces dernières étant considérées comme des extensions d’urbanisation et devant être implantées en continuité du bati (et donc pas forcément proche d’une parcelle agricole). Sans dérogation particulière –les éoliennes ont par exemple une dérogation dans ces cadres là – impossible d’installer des projets de centrales photovoltaiques en contexte agricole dans les communes soumises à ces lois

La complexité du lien avec les documents d’urbanisme réside également dans la typologie des projets d’installations photovoltaique parce que tous ne sont pas logés à la même enseigne :

  • Les centrales photovoltaiques au sol dont la puissance crête est inférieure à 3kW et dont la hauteur ne dépasse pas 1,80 m n’ont pas l’obligation de déposer de permis de construire
  • Les centrales photovoltaiques au sol dont la puissance crête est inférieure à 3kW et dont la hauteur dépasse 1,80 m et ceux dont la puissance crête est comprise entre 3 et 250 kW doivent faire l’objet d’une déclaration préalable.
  • Les autres projets d’installations photovoltaiques dont la puissance crête est supérieure à 250 kW doivent prouver la compatibilité de leur projet avec la composante agricole devant les services instructeurs de l’état et ont l’obligation de demander un permis de construire et de réaliser une évaluation environnementale.

En jugeant de la compatibilité d’un projet photovoltaïque avec la composante agricole, ce sont ainsi les préfectures, les régions, la CDPENAF (commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) et les communes qui peuvent ainsi accélérer ou freiner le déploiement des installations photovoltaïques au niveau local. La CDPENAF – dont on entend régulièrement parler sur les projets d’agrivoltaisme – a en fait ici plutôt un rôle consultatif. Cette instance émet un avis sur tout projet d’urbanisation qui pourrait affecter les surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole et sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation de ces espaces. Par leur présence en local sur le territoire, la CDPENAF a la capacité d’apprécier la qualité des projets agrivoltaiques au cas par cas, et de donner un avis construit sur la pertinence de tels projets sur les territoires. Certains acteurs ont même tendance à pousser pour augmenter les pouvoirs de la CDPENAF (par exemple en leur conférant la compétence de délivrance des Certificats d’Eligibilité du Terrain d’Implantation sur terrain agricole en vue des appels d’offres CRE, ce qui serait actuellement fait par la DREAL ; ou en imposant aux projets qui ne sont pas soumis à la réalisation d’une étude d’impact de rédiger une note d’évaluation que la CDPENAF pourra analyser).

Les permis de construire peuvent être des permis d’état (ils sont alors signés par le préfet) ou alors des permis municipaux (c’est alors le maire qui signera). A l’heure actuelle, les permis accordés sont en très grande majorité des permis d’état même si Barbara Pompili – ancienne ministre de la transition écologique – avait déclaré que les permis municipaux s’ouvriraient plus largement. Instruire des permis municipaux pose néanmoins question quand l’on voit que certaines communes semblent complètement dépassées par les évènements. Une fois le permis de construire déposé, l’histoire est encore loin de se terminer. Ce temps long permet néanmoins d’avoir le temps de se préparer, de faire monter la mayonnaise, et de monter un projet cohérent, et en collectif. Malgré tout, il semblerait que quoi qu’en dise les services instructeurs de l’état, de bons juristes pourraient faire accepter un permis de construire refusé. Selon certaines interprétations, une centrale photovoltaique pourrait être considérée d’utilité de bien publique en tant que réponse aux objectifs de la transition énergétique, balayant de fait des potentiels refus de communes et de préfets.

La gestion des terres fait également penser à la SAFER. Les SAFER interviendraient plutôt en amont pour faire attention à ce que des acteurs mal intentionnés ne viennent pas acheter les terres. Néanmoins, lorsqu’il n’y a pas d’achat de terres, les projets agrivoltaiques sont plutôt organisés autour de locations par bail emphytéotique (le foncier reste alors aux mains du monde agricole), et les SAFER n’ont finalement que peu d’apport direct. Les acteurs du territoire auraient plutôt tendance à se battre pour que les projets agrivoltaiques restent sur des zones agricoles dans les documents d’urbanisme. En perdant la notion agricole des terres, le risque est grand qu’à la fin du projet agrivoltaique, le terrain agricole ne retourne pas dans les mains de l’agriculture (c’est d’ailleurs ce que craignent de nombreux services agricoles). On pourrait rajouter aussi que, ne connaissant pas les énergies à disposition dans les décennies à venir, il est important que les terres restent aux mains de l’agriculture. On pourra néanmoins se rassurer de ce qu’en France, les terres agricoles sont quand même assez protégées (le constat est assez similaire en Italie qui a une ambition très forte sur le développement du photovoltaique et une vision assez restrictive sur l’utilisation de ses terres).

Pour les projets de centrale à la puissance suffisamment importante, une évaluation environnementale est demandée – notamment au regard des impacts sur la faune et la flore locale. Ces études d’impacts ou études environnementales, qui peuvent être complémentées avec pré-étude de faisabilité et des études paysagères, sont parfois critiquées au moment de la soumission du projet à enquête publique.  Depuis 2014 et la Loi d’Avenir pour l’Agriculture, les législateurs ont également imposé la mise en place d’études préalables agricoles (EPA), souvent réalisées par les chambres d’agriculture ou des bureaux d’études privés. Ces EPA sont des sortes d’audit agricoles qui visent à apporter des éléments de lecture sur l’intérêt du projet photovoltaique d’un point de vue agricole, de présenter les mesures envisagées pour éviter et réduire les impacts négatifs de l’installation, et le cas échéant, de définir les mesures de compensation collective visant à soutenir l’économie agricole du territoire. Cet audit est l’occasion de considérer le territoire agricole (opportunités d’un point de vue agricole, les débouchés et filières, les pratiques traditionnelles, les appellations), d’analyser l’exploitation agricole (productions, ateliers compatibles avec agrivoltaisme, besoins, forces, faiblesses), d’évaluer si le projet est bien désigné pour l’exploitation agricole et s’il permet de répondre à de potentielles faiblesses de l’exploitation, et enfin d’évaluer si le projet agrivoltaique s’inscrit bien sur le territoire et ses aspirations, et si le projet peut répondre aux potentielles problématiques de l’exploitation agricole.

La France s’est également engagée à atteindre l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) à l’horizon 2050. Sous couvert de lutte contre l’artificialisation des sols, de perte du potentiel productif agricole, les documents d’aménagement du territoire, notamment le Schéma de Cohérence Territorial (SCoT), peut freiner le développement du photovoltaïque en zone agricole. Et de rajouter que l’expression « consommation d’espaces » n’est pas explicitement définie dans le code de l’urbanisme. Aussi, il appartient aux auteurs de ces documents de définir eux-mêmes les modalités de calcul de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, ce qui peut notamment les conduire à y inclure les panneaux photovoltaïques. Une disposition de la loi climat stipulerait qu’un espace naturel ou agricole occupé par une installation de production d’énergie photovoltaique n’est pas comptabilisé dans la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers. Il y a de quoi devenir chèvre…

Bref, dans la grande majorité des cas, la mise en place de projets agrivoltaiques n’est pas une mince affaire. Il existerait même un arrêté limitant à quinze jours consécutifs la durée pendant laquelle une activité non agricole peut être exercée sur une parcelle bénéficiant de la PAC. Très clairement, cet arrêté vient en complète contradiction avec un projet d’agrivoltaisme. Certains profiteraient même de cette complexité administrative et de l’argent de la filière photovoltaique pour vendre des études – il faut dire qu’entre les études d’impact, les études préalables agricoles, ou encore les études technico-économiques, il y a un peu d’argent à se faire (on a vu également pointer du bout de leur nez des projets de fouille archéologique et l’intervention d’acteurs autour des monuments historiques)

De l’agrivoltaisme à l’écovoltaisme


L’impact des projets de centrales agrivoltaiques sur la biodiversité est encore assez mal connu. Encore peu d’enseignements robustes peuvent être tirés des projets agrivoltaiques, d’autant que la situation initiale (situation de référence) n’est pas évidente à prendre en compte. Certains travaux auront révélé une diminution de la richesse spécifique et un changement dans la composition floristique du couvert sous les panneaux photovoltaïques. Néanmoins, ces considérations de biodiversité ne sont pas complètement négligées pour autant. Et ces projets n’auraient pas nécessairement un impact négatif – attention aux conclusions hâtives. Plusieurs développeurs et/ou expérimentateurs mettent en place des dispositifs de suivi et des infrastructures dédiées : construction d’habitats, création de mares, suivi de biodiversité, déploiement de corridors écologiques, installation de nichoirs à chauve-souris et mésanges. Des projets de centrales sont également l’occasion pour certains agriculteurs de s’engager vers des démarches de transition vers l’agriculture biologique et vers d’autres pratiques plus vertueuses. Attention néanmoins aux petits projets de centrales qui ne sont pas soumis aux études d’impact… Des associations environnementales auraient des rapports en cours de création – France Nature Environnement (FNE), La Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) entre autres.

Le concept d’écovoltaisme aurait même été récemment proposé. On retrouverait derrière ce terme la valorisation des surfaces non exploitées sous les panneaux solaires (notamment sur les centrales assez basses avec des productions prairiales) dans un programme d’écologique scientifique à visée appliquée. Ces surfaces non exploitées pourraient être l’occasion de promouvoir la restauration de communautés végétales endémiques et l’installation de plantes destinées à l’agriculture biodynamique (fougère aigle, bourdaine, rhubarbe, bourrache, consoude…), de plantes mellifères (aspérule odorante, campanule, genêt, lamier, mélisse, hysope…), de plantes menacées d’extinction (classées en liste rouge par l’UICN) ou encore de plantes d’intérêt médicinal. Ces plantes, qui doivent être particulièrement bien sélectionnées – pour leur résistance à l’ombre, la bonne qualité nutritive de leur pollen et nectar, ou encore leur floraison étalée – seraient intéressantes à implanter dans des conditions de cultures difficiles, avec des sols pauvres et peu fertiles, non cultivables, là où les panneaux solaires sont fixes, non orientables et très bas, et pour lesquels les sites d’implantation sont soumis à des aléas climatiques (sécheresses, exposition au vent…). Bien que ces projets semblent théoriquement très prometteurs, on pourrait néanmoins en questionner leur logistique et leur opérationnalité par des agriculteurs et par des développeurs photovoltaiques.

Entre recyclage et analyse du cycle de vie


Malgré tous les beaux discours que l’on pourra entendre sur l’analyse de cycle de vie des centrales photovoltaiques, il n’y aurait pas encore d’exemple réel de démantellement déjà réalisé. Les infrastructures de centrale se doivent d’être entièrement démontables et il est demandé aux porteurs de projets de restituer le sol dans son état initial ; les coûts de démantèlement doivent normalement être pourvus dès le début du projet et assurés par l’énergéticien (donc intégrés directement dans le business plan de l’énergéticien). Il ne devrait donc pas être possible de bétonner, ni d’arraser – même si certains allégements sont proposés pour du béton pour ancrer les pieux dans le sol (certains ancrages doivent être solides pour des structures de tables hautes, il n’y a pas toujours la profondeur pour enfoncer un pieu dans le sol et certains endroits sont de toutes les façons plus propices que d’autres pour enfoncer un pieu). On aura néanmoins vu certains développeurs prendre des surfaces, aplanir totalement le sol en le laissant dans un état détruit. Ce principe de réversibilité est pourtant le garde-fou pour éviter que le projet agrivoltaïque soit un premier pas vers une déprise agricole ultérieure par entrave (résidus d’installation gênant l’exploitation, dégradant la production ou menaçant la sécurité de l’exploitant agricole).

Le recyclage en fin de vie des centrales va devenir un gros sujet. Les fabricants de modules et d’onduleurs ont l’obligation de collecte et de recyclage de leur produit (l’association Soren est en charge de cette collecte et recyclage, avec 2 usines en France pour l’Europe). Théoriquement, jusqu’à 95% de la masse d’un module photovoltaique pourrait être valorisée. Attention néanmoins à ne pas aller trop vite en besogne. Nous parlons bien ici en pourcentage de masse potentiellement valorisable et pas en pourcentage d’éléments valorisables (le silicium est notamment difficile à revaloriser). Rajoutons également que la valorisation n’est pas nécessairement du recyclage… A l’heure actuelle, il n’est pas possible de fabriquer un nouveau panneau photovoltaique à partir d’un panneau photovoltaique en fin de vie. Bien que la part théorique de valorisation des panneaux en fin de vie reste de manière générale très élevée, il n’y aurait pas encore d’initiatives suffisantes – et de marché suffisamment structuré – pour amortir le coût d’installation d’une usine de recyclage. Certains panneaux auraient même une durée de vie plus longue que prévue initialement – parfois à plus de 30 ans au lieu des 20 ans annoncés – rallongeant de fait la quantité de panneaux pour un potentiel recyclage.

Le bilan environnemental de l’agrivoltaisme peut être considéré dans deux cadres distincts, un premier où la totalité de l’énergie est revendue sur le réseau, et un deuxième où une partie de l’énergie produite est (auto)consommée sur l’exploitation. Certains opérateurs et bureaux d’étude commencent même à utiliser l’argument des tables photovoltaiques en agriculture dans un bilan carbone intégré dans les exploitations en ce sens que les installations photovoltaiques permettraient de changer le mix énergétique sur l’exploitation en limitant l’usage d’énergies fossiles. On peut d’ailleurs imaginer conditionner l’installation de tables photovoltaiques à des changements de pratiques agricoles vers des pratiques stockantes de carbone (en réduisant les risques ou la charge mentale pour l’agriculteur grâce à l’investissement au long terme permis par les panneaux). D’un point de vue comptable, ces émissions de carbone évitées et/ou stockées pourraient être attribuées en partie aux infrastructures photovoltaiques.

Pour information, le site Electricity Map permet de visualiser en temps réel une série d’indicateurs sur le mix électrique d’un pays. Cet outil ne permet toutefois pas d’apprécier l’empreinte carbone moyenne de l’électricité. En effet, en fonction de l’heure et du moment de l’année, l’empreinte instantanée peut varier de manière significative, notamment lorsque les centrales gaz et charbon sont appelées pour répondre aux pointes de consommation. Dans les faits, les énergies renouvelables ne se substituent pas à un mix électrique moyen, mais plutôt aux dernières énergies appelées selon un « ordre de mérite » (toutes les énergies n’ont pas la même priorité d’injection, les énergies renouvelables sont appelées en priorité, suivie du nucléaire, puis du gaz et du charbon). Pour évaluer si le photovoltaique permet de réduire l’empreinte carbone moyenne de l’électricité, une méthode intéressante pourrait être plutôt de simuler heure par heure ce qu’aurait été le mix électrique français sans photovoltaïque.

Rajoutons également que, si l’on se place dans le cadre d’une ACV complète, des travaux doivent être mis en place pour réduire la toxicité des éléments métalliques utilisés dans les tables photovoltaiques. La technologie de certaines cellules photovoltaiques de deuxième génération de type CIGS (cuivre, indium, gallium, sélénium) met à l’œuvre des éléments comme le sulfure de cadmium. Le cadmium étant un élément métallique hautement toixque, des recherches sont en cours pour le remplacer par d’autres éléments (Zn, Mg, O, S…)

Raccordement au réseau et stabilité électrique


Un des principaux facteurs limitants de l’agrivoltaisme pour les porteurs de projets reste la distance de raccordement des projets de centrales photovoltaiques au réseau électrique existant. L’autoconsommation et l’utilisation locale de l’énergie produite est en effet assez rare (sauf quand il y a des outils de transformation à côté ou, indirectement, pour récupérer de la chaleur produite par les panneaux photovoltaiques pour améliorer le rendement d’une pompe à chaleur dans un batiment agricole), contrairement à ce qu’on pourrait trouver dans le cadre de la micro-méthanisation, et l’énergie produite aura plutôt tendance à être remise dans le réseau.

L’électron va au plus court dans le réseau. Cette contrainte physique implique que la distance de raccordement au réseau ne peut pas être négligée. Comme l’énergie ne peut pas être réintroduite dans des zones de basse tension locale, il est nécessaire de trouver un poste de raccordement pour remettre l’énergie dans le circuit. Il est parfois nécessaire de creuser des tranchées de plusieurs kilomètres pour atteindre ces postes de relargage et ça n’est pas toujours tout sourire pour les investisseurs. Et pour cause, comptez environ 100.000 € par kilomètre de raccordement ! Et plus le poste de raccordement est éloigné de la centrale, plus la centrale devra être grande pour compenser le coût d’investissement (une densité plus faible en panneaux photovoltaïque engendre plus de câblages en proportion). Et plus elle est grande, plus la centrale risque d’être une menace importante pour la pérennité de l’activité principale de l’exploitation agricole. Et de rajouter qu’en milieu rural, les points de raccordement en milieu rural sont le plus souvent en bout de réseau

Rajoutons d’autant plus que certains postes de raccordement n’ont pas la capacité d’accueillir des méga watts supplémentaires. Le site internet « capareseau » (https://www.capareseau.fr/) localise les capacités d’accueil pour le raccordement aux réseaux de transport et de distribution des installations de production d’électricité. Bien qu’une certaine quantité de l’énergie raccordée à ces postes doive venir d’une installation d’énergie renouvelable (au titre du Schéma Régional de Raccordement au Réseau des Énergies Renouvelables -S3REnR), les zones à tension seront très certainement proches de ces postes sources. Peut-on élever la tension de ces postes sources pour accueillir plus de projets ? Les lignes ne sont-elles pas déjà saturées ? Autant de questions que l’on peut raisonnablement se poser…

Ne négligeons pas non plus l’enjeu autour de la stabilité du réseau électrique – le réseau vit d’équilibre (début 2022, le réseau de transport de l’électricité RTE avait d’ailleurs alerté quant à l’équilibre entre la consommation et production d’électricité suite à une baisse des températures). Les réseaux actuels ont été conçus pour avoir des systèmes de production d’énergie centralisée. Si l’on imaginait plusieurs milliers de centrales agrivoltaiques en place, de nombreux travaux sur les infrastructures de réseau devront être engagés pour accepter de nouvelles centrales et passer du centralisé vers du décentralisé. Le réseau en serait-il pour autant complètement déstabilisé ? Il semblerait qu’un consensus scientifique existe quant à l’existence de solutions technologiques permettant de maintenir la stabilité du système électrique. Ces solutions technologiques ne seraient aujourd’hui pas nécessaires parce qu’elles auraient besoin d’intervenir si les énergies intermittentes comme le solaire représentaient, en production instantanée, plus de 60% de la production énergétique totale (nous avons vu qu’on en était encore loin). Il n’y aura de toute façon qu’un seul réseau et tout le monde devra y être raccordé. Si chacun faisait son propre réseau privé, on peut raisonnablement imaginer que les états seront créatifs pour proposer des systèmes de taxation dédiés.

Si l’on imagine une électrification du travail agricole (avec des engins et machines tournant à l’énergie électrique) et que l’on a besoin d’apporter de l’électricité à la parcelle, il pourra être envisagé de mutualiser les réseaux. En faisant passer une première ligne d’une centrale agrivoltaique pour la réinjecter dans le réseau existant, une autre ligne pourra être passée dans l’autre sens pour alimenter par exemple une borne de recharge électrique sur la parcelle. Les micro-réseaux électriques pourraient être ainsi vus comme un stimulant à la fois pour le développement local dans les zones rurales et pour l’élimination du besoin de nouvelles lignes électriques.

Sommes-nous assez résilients ?


L’utilisation des panneaux solaires au cœur des projets d’agrivoltaisme questionne notre dépendance aux fournisseurs de panneaux solaires. Notre regard se tourne tout de suite vers la Chine qui, à elle seule, regroupe les 10 principaux fournisseurs de panneaux photovoltaiques à l’échelle mondiale. Des initiatives sont en cours en Europe (Hollande, Allemagne, Espagne…), mais les capacités de production ne sont pas comparables, et de loin…. Le débat sur la dépendance est beaucoup plus large qu’au seul niveau français, et cette dépendance ne pourra être réduite que quand les Etats décideront de faire en sorte que des usines de grande capacité soient viables au niveau économique. Les opérateurs photovoltaiques pourront se tourner vers des fournisseurs européens si leurs projets photovoltaiques sont suffisamment rentables (et si le taux de renouvellement des panneaux – parfois plus intéressant chez les Européens que chez les Chinois dont le mix énergétique est très carbone – pour limiter leur dette carbone). Ce sont parfois aussi tout simplement des enjeux logistiques (comme la disponibilité des panneaux) qui conforteront le choix des opérateurs photovoltaiques vers les fournisseurs.

Outre cette dépendance très spécifique, c’est notre dépendance à l’énergie qu’il est important de considérer, et particulièrement celle du secteur agricole. En France, près de 45% de l’énergie finale provient du pétrole (28%) et du gaz (15%). L’agriculture, telle qu’elle est réalisée, est complètement dépendante de l’énergie pétrolière (Harchaoui & Chatzimpiros, 2018). Cette dépendance ne permet pas de protéger la population agricole contre les hausses de prix du carburant – un risque à présent avéré au vu du pic pétrolier largement passé. Le conflit russo-ukrainien en cours est également à l’origine d’une augmentation impressionnante du cours des engrais (produits à partir de gaz) – des vols d’engrais auraient d’ailleurs été recensés en France… L’électrification complète de l’agriculture est loin d’être évidente (par la nature des agro-équipements actuels, et par la demande énergétique que représenterait la production d’engrais avec des énergies renouvelables) mais le développement des énergies renouvelables permettra de répondre à certains de ces enjeux de dépendance. La nécessaire sobriété du secteur agricole – que ce soit par un changement de modèle complet, des changements complets d’itinéraires agricoles ou par des agro-équipements plus légers – est bien évidemment ô combien important, mais ce sujet sort du cadre de ce dossier de blog.

En continuant à prendre un peu de recul, on pourrait s’inquiéter de ce que notre système énergétique ne soit pas résilient au dérèglement climatique que nous sommes en train de vivre. Déjà, sans parler des centrales photovoltaiques, l’augmentation de la température peut réduire l’efficacité et la capacité maximale des centrales thermiques. A côté de ça, les variations spatiales et temporelles de pluviométrie (et de niveau de pluie bien évidemment), et la température des ressources en eau peuvent limiter les opérations des centrales hydroélectriques et thermiques. Côté photovoltaïque, les prospectives ne sont pas nécessairement réjouissantes non plus. L’augmentation de la température de l’air affecte le potentiel productif des panneaux. Le coefficient de température des panneaux, c’est-à-dire le taux de diminution de la performance des panneaux pour chaque degré de température, diminuerait d’environ 0.3 à 0.5% pour chaque degré de température supplémentaire au-dessus de 25°C. Avec les projections climatiques attendues et les récents rapports du GIEC de 2021 et 2022, l’efficacité des installations agrivoltaiques sur le long terme en termes de production énergétique pourraient être surestimé. On pourrait néanmoins rétorquer que si les projets sont bien construits, ces panneaux devraient continuer à protéger les cultures des aléas climatiques grandissants, même si leur production énergétique est diminuée.

En guise de conclusion


En combinant, sur la même surface agricole, la production de cultures et la production électrique, l’agrivoltaisme se veut être une nouvelle pratique de cohabitation et de synergie agricole. La filière agrivoltaique n’en est encore qu’à ses débuts et manque encore assez clairement de démarches normatives et réglementaires. Le manque de définition et de cadre clairs est assez criant. Si les enjeux d’artificialisation des terres, de déprise agricole ou encore d’accaparement des terres sont véritables, il n’en reste pas moins que l’agrivoltaisme ne peut pas être vu sous un angle trop simpliste. Ces dispositifs sont aussi un moyen pour les agriculteurs d’investir ou de financer des outils agricoles, de pérenniser une exploitation, de sécuriser du foncier, ou encore d’apporter une forme de diversification là où les alternatives sont relativement peu nombreuses. Il sera important de s’assurer qu’en production végétale, les nouveaux projets agrivoltaiques ne souffrent plus de tous les déboires qu’a connu la filière avec les premières serres photovoltaiques et, qu’en conditions animales, ces projets ne servent pas pour de la location de matériel à pattes. Pâturer n’a jamais été une activité agricole en soi.

Les projets agrivoltaiques doivent pouvoir être éligibles pour toutes les filières, que ce soit pour de la production animale ou végétale – même pour celles qui n’aurait pas encore convergé vers un modèle d’agrivoltaisme pertinent.

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Bibliographie complémentaire aux entretiens


Acte Agri Plus (2022). Recensement 2022 des projets agrivoltaïsme au niveau mondial : https://aa-plus.fr/agrivoltaisme-2

ADEME (2021). Caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaisme. Etat de l’art bibliographique

ADEME (2021). Caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaisme. Guide de classification des projets et définition de l’agrivoltaisme

ADEME (2021). Caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaisme. Recueil de retours d’expériences et fiches techniques récapitulatives

Afnor (2021). Label Projet Agrivoltaique. Référentiel de labélisation des projets de classe A sur culture. Version 1.1 – Décembre 2021

Assemblée nationale (2022). Mission d’information Flash sur l’Agrivoltaisme.

A’Urba (2022). Photovoltaïque au sol en Nouvelle Aquitaine. Quelle utilisation des sites dégradés et artificialisés ? Quelle acceptabilité des installations en milieu agricole ?

CNRS (2022). Le solaire photovoltaïque en France : réalité, potentiel et défis. Des questions et des réponses préparées par des chercheurs et des chercheuses du CNRS et de la Fédération de recherche du Photovoltaïque.

ENCIS Environnement (2021). Analyse de la concurrence entre les parcs photovoltaïques au sol et les autres usages des sols. Focus sur les solutions de l’agrivoltaïsme

Grison, C., Cases, L., Le Moigne, M., Hossaert-McKey, M. (2021). Photovoltaïsme, agriculture et écologie. De l’agrivoltaïsme à l’écovoltaïsme.

IDELE (2020). Energies renouvelables : les solutions à la ferme. Etudes, Analyses, Stratégie. Collection – Dossiers techniques de l’élevage

IDELE (2021). L’agrivoltaisme appliqué à l’élevage des ruminants. Guide à destination des éleveurs et des gestionnaires de centrales photovoltaïques au sol

Harchaoui, S., & Chatzimpiros, P. (2018). Can agriculture balance its energy consumption and continue to produce food ? A framework for assessing energy neutrality applied to French Agriculture. Sustainability, 10.

Munoz-Garcia, M.A. & Hernandez-Callejo, H. (2022). Photovoltaics and Electrification in Agriculture. Agronomy, 12, 44

Plateforme Verte (2021). Plateforme pour un agrivoltaisme vertueux. Recommandations.

SER (2020). L’énergie photovoltaïque dans le monde agricole

Solagro (2020). Les parcs solaires photovoltaïques au sol consomment-ils des terres agricoles ? SOLAGRO, pour Enercoop, Energie Partagée et Terre de liens : https://decrypterlenergie.org/les-parcs-solaires-photovoltaiques-au-sol-consomment-ils-des-terres-agricoles

SolarPower Europe (2021). Agrisolar. Best Practices Guidelines. Version 1.0

Terre de liens (2022). Etat des terres agricoles en France. Tout doit disparaïtre ?

Toledo, C. & Scognamiglio, A. (2021). Agrivoltaic Systems Design and Assessment: A Critical Review, and a Descriptive Model towards a Sustainable Landscape Vision (Three-Dimensional Agrivoltaic Patterns). Sustainability, 13

Visite complémentaire aux entretiens


Avril 2022 – Site d’Akuo Energy à la bergerie du Broussan. Panneaux photovoltaiques fixes avec production d’abricotiers, cerisiers et raisins de tables.

Personnes Interviewées


NomStructure
Adrien ALEXANDREShell
Xavier BODARDDavele
Thibault BUSTOSVSB Energies
Alexandre CARTIERSun’Agri
Damien FUMEYSun’Agri
Thibault GRANGEAgri Terra
Ronald KNOCHERemtec et France AgriVoltaisme
Lucile NIEF, Lucas OMEZDavele
Jérôme PAVIEIdele
Nicolas PISTREUrbasolar
Blandine THUELActe Agri Plus
Gilles van KEMPENFFPA
Adrien VASSILEVSKYADEME

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3 commentaires sur « Agrivoltaisme – le solaire à la conquête de l’agriculture ? »

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